Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/728

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
722
REVUE DES DEUX MONDES.

au contraire, est un Chinois dans toute la force du terme, fin, rusé, souple, sachant à propos dissimuler sa haine, la cachant même sous des dehors rians, affable quand il le faut, faisant plier l’inflexible rigueur du cérémonial chinois aux exigences de la situation, connaissant tout le prix du temps dans une question comme celle qu’il était appelé à traiter, et par conséquent habile temporiseur. Keschen vit du premier coup d’œil tous les inconvéniens qui pouvaient résulter, pour le gouvernement dont il faisait partie, de la reprise des hostilités à l’embouchure du Pei-ho. La vérité se serait fait jour, et il n’eût plus été possible de dissimuler à la population de la principale province de l’empire qu’une nation barbare avait osé menacer le trône. C’eût été un échec non douteux à cette toute-puissance impériale, qui ne se soutient que par son propre prestige. On ne devait courir ce danger qu’à la dernière extrémité.

Aussi, que fait Keschen ? Il donne l’ordre d’approvisionner les navires anglais de vivres frais ; il se fait l’ami de ses ennemis pour mieux les tromper, et il y réussit à merveille, comme vous allez le voir. Le 16 août, après des pourparlers qui durèrent plusieurs jours, Keschen consentit à recevoir la lettre de lord Palmerston par l’entremise d’un officier député à cet effet. Un délai de dix jours fut accordé pour répondre à cette communication. Les navires de guerre anglais s’éloignèrent. Le 27 août, ils étaient de retour. Le 28, on n’avait encore reçu aucune nouvelle de Keschen. Une sommation lui est envoyée par les plénipotentiaires anglais, afin d’exiger la réponse convenue ; le 30, une conférence a lieu à terre, entre M. Elliot et le ministre chinois. M. Elliot est accompagné de deux interprètes, Keschen n’a avec lui que deux officiers de confiance. Remarquez bien, monsieur, l’espèce de huis-clos de cette entrevue, et vous aurez l’explication de la déférence avec laquelle le grand dignitaire chinois voulut bien condescendre à traiter en égal un envoyé barbare. Keschen fut, dit-on, d’une politesse exquise envers le capitaine Elliot ; mais il ne parut nullement disposé à faire droit aux réclamations du gouvernement anglais. Enfin, après de nouveaux pourparlers, un nouveau délai de six jours fut demandé et accordé. Comment fut employé par Keschen ce délai d’un mois passé en négociations ? Les résultats vous le feront voir. L’inquiétude la plus grande dut présider aux réunions des conseillers de l’empire. Quelle ne dut pas être leur joie quand Keschen leur apprit qu’il avait obtenu des agens anglais que l’escadre ennemie quitterait immédiatement l’embouchure du Pei-ho et reviendrait vers le sud ! Comment Keschen obtint-il ce brillant avantage ? Comment les plénipotentiaires anglais furent-ils amenés à abandonner la position si favorable qu’ils occupaient, pour aller soumettre la décision de leur cause à une nouvelle série de négociations qui se tiendraient à quatre cents lieues de la capitale ? Tout cela est presque inexplicable.

Il devait être évident pour les plénipotentiaires que, lorsque les conférences auraient lieu à Canton, la distance de cette ville à Pékin serait la cause d’incalculables retards. À chaque nouvel incident, Keschen ne manquerait pas