Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/825

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
819
LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

transformation prodigieuse, tellement compliquée et difficile, qu’on peut à peine en concevoir le mécanisme, maintenant qu’elle est là, accomplie, sous nos yeux.

L’idiôme qui se parle entre les Pyrénées et la Meuse a des racines profondes et étendues auxquelles on ne songe pas habituellement. Les langues qui s’étaient rencontrées dans la Gaule, le celtique, le latin et l’allemand, portent des caractères d’analogie qu’un œil attentif a discernés ; la parenté, il est vrai, s’en perd dans la nuit des siècles et précède tout ce que nous savons de l’histoire ; il n’en est pas moins certain qu’elles sont de la même famille et appartiennent à un type nulle part mieux conservé que dans le sanscrit, et reconnaissable encore dans les plus lointains rameaux. Séparées du tronc commun à des époques inconnues et par des évènemens qui n’ont pas laissé de trace, modifiées par les fortunes diverses des peuples, elles se trouvèrent en présence sans se reconnaître, et se mélangèrent inégalement. Ainsi naquit le français moderne, produit de la fusion de ces vieilles langues, modernes elles-mêmes par la comparaison avec les sources primitives d’où elles découlent. La langue que nous parlons, les mots que nous employons, les sons que nous articulons, tout cela remonte d’âge en âge à une haute antiquité, tout cela se rattache de contrées en contrées à des origines lointaines, tout cela est dû à des causes dont nous n’avons plus le secret ; tout cela forme un ensemble à côté duquel le caprice individuel a peu d’autorité.

P. L. Courier, avec sa manière vive et singulière, disait que peu de gens savaient le grec, mais que bien moins savaient le français. Le français est mal su parce qu’on néglige de l’apprendre où il se trouve réellement, et qu’une langue ne se devine pas plus que les faits naturels. Je comparerais volontiers le néologisme qui ne dérive pas nécessairement de choses nouvelles ou qui ne se rattache pas étroitement à l’analogie (et par néologisme j’entends non-seulement les mots nouveaux, mais les locutions et les tournures nouvelles), je le comparerais, dis-je, aux hypothèses hasardées que dans les sciences on imagine, au lieu d’étudier et d’observer les faits. Le néologisme est l’hypothèse toujours facile, presque toujours trompeuse, et à côté est la réalité.

En opposition au néologisme qui s’égare, nous avons vu un des écrivains contemporains les plus éminens tomber dans un défaut contraire. P. L. Courier, si grand admirateur du français du XVIe siècle, qui y avait puisé une connaissance si profonde de la langue, et dont