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l’ambassadeur. La présence de M. Desages à Londres était donc une circonstance inutile à rappeler.

Ce que M. le maréchal Sébastiani avait à dire, ce qu’il a dit du reste avec cette fermeté et ce courage que nul ne lui conteste, et qui l’honoreront tonjours, même aux yeux de ceux qui ne partagent pas toutes ses opinions, c’est qu’au moment d’une grande et délicate négociation, de la conclusion de l’affaire belge, lorsque l’alliance anglaise, qu’il regardait comme la garantie de la paix du monde, lui paraissait pouvoir être compromise, lorsqu’il entrevoyait comme possible un traité à quatre qui, devant s’accomplir non dans les parages de l’Orient, mais sur nos frontières, aurait mis la longanimité de la France à une trop rude épreuve, il ne crut pas devoir refuser la coopération que le ministère anglais lui demandait. Il l’a cru d’autant mieux, que la signature du protocole n’était pas pour la France un engagement positif, n’impliquait pas l’acceptation de telle ou telle clause additionnelle aux traités de 1831 et de 1833. M. Sébastiani engageait plutôt sa responsabilité personnelle vis-à-vis de son gouvernement, qu’il n’engageait son gouvernement vis-à-vis des autres puissances. Il a fait ce qu’un homme de cœur fait quelquefois, lorsque les circonstances lui paraissent graves, délicates, difficiles. Entre les intérêts de son pays et ses intérêts personnels, il n’hésite pas. M. Sébastiani savait fort bien qu’il pouvait être désavoué, rappelé. Il a cependant signé, parce que, à tort ou à raison, il était convaincu qu’ainsi le voulaient dans ce moment la saine politique et l’intérêt de la France. On peut dire qu’il se trompait. Nul ne peut dire qu’il n’a pas agi en homme résolu et dévoué à son pays.

M. le comte Molé, ayant eu connaissance de la signature du protocole, n’a ni rappelé, ni désavoué l’ambassadeur ; il a gardé le silence. Ce silence était-il un fait si singulier, si extraordinaire, si en dehors des usages diplomatiques qu’on paraît le croire ? M. Molé, les amis de M. Molé, avaient-ils besoin de grands efforts pour justifier l’inaction silencieuse du chef du cabinet du 15 avril ? Nullement ; rien de plus naturel et de plus simple que ce silence ; deux mots auraient suffi pour l’expliquer. Sans doute, les circonstances politiques au milieu desquelles se trouvait alors M. Molé ont pu contribuer à son silence, l’empêcher même de prendre une connaissance détaillée de cette affaire. M. Molé était alors dans le plus fort de la tourmente politique qui a agité les derniers mois de son ministère, et il est facile de croire qu’il n’avait guère le temps de méditer sur la traite des noirs et sur la marche d’une nouvelle négociation à ce sujet. Mais, indépendamment de ces circonstances particulières, le gouvernement français n’avait aucune obligation, ni légale, ni morale, de s’expliquer sur-le-champ. Il n’y avait jusque-là qu’un procès-verbal pour inviter à une négociation commune trois cours dont on ne connaissait les intentions que d’une manière générale, dont les représentans à Londres n’avaient aucun pouvoir sur la matière. Le protocole était parti. La négociation ne pouvait commencer que le jour où les trois cours, ayant chacune mûrement délibéré, auraient permis à leurs agens de prendre part aux confé-