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MORALISTES DE LA FRANCE.

de politique sans y réfléchir ; l’empereur put s’en apercevoir et se méfier. Attachée d’ailleurs par affection comme par position à l’impératrice Joséphine, elle se sentait pour rôle unique de suivre sa fortune. Elle fut atteinte de très bonne heure dans sa santé, ce qui ne lui permit guère de faire activement son service, pourtant simplifié vers la fin dans cette retraite de la Malmaison. M. de Rémusat continuait de remplir le sien près de l’empereur avec plus d’exactitude et de conscience que d’empressement. La situation assez grande qu’ils avaient obtenue du premier jour n’alla donc jamais jusqu’à la faveur. Depuis le divorce, il y eut arrêt marqué, définitif ; et la liaison étroite où ils furent avec M. de Talleyrand, durant ces dernières années de l’empire, étendit sur eux comme une ombre de la même disgrace.

Vers cette époque, le goût de la société comme conversation, et celui de la littérature à titre presque d’occupation suivie, prirent une place croissante dans la vie de Mme de Rémusat. Les réflexions graves lui vinrent avant l’âge, et sa maturité data du cœur même de sa jeunesse. Ses cahiers de pensées nous permettent de la suivre à cet égard de beaucoup plus près qu’il ne semblerait possible. Dans un voyage qu’elle fit à Cauterets pour sa santé, en 1806, l’isolement où elle se trouva, au sortir d’une cour qui avait hâté son expérience, lui donna lieu d’en rassembler les fruits déjà tristes et amers. Son état de souffrance la reporta vers les idées religieuses dont son enfance n’avait jamais manqué, et qui depuis n’avaient été que distraites ; elle rêva, elle pria, surtout elle médita : « La méditation, a-t-elle dit, diffère de la rêverie en ce qu’elle est l’opération volontaire d’un esprit ordonné. » Des réflexions qu’elle écrivit vers le même temps, après avoir lu celles de Mme Du Chatelet sur le bonheur, nous la montrent bien contraire à cette morale égoïste et sèchement calculée de l’amie de Voltaire, comme d’ailleurs elle eût été peu encline à la morale purement sentimentale que de plus tendres avaient puisée dans Rousseau. La sienne cherchait plutôt son appui dans la raison, et se dirigeait par l’effort au devoir. Pourtant, des idées et même des pratiques religieuses positives (nous en avons la preuve et nous y reviendrons) s’y mêlèrent en avançant, et agirent beaucoup plus que le monde et peut-être les amis ne l’auraient cru, mais peut-être aussi un peu moins que Mme de Rémusat ne se le disait à elle-même. Dans un excellent morceau que je lis, daté de 1813, sur la coquetterie, elle n’avait eu besoin que de consulter son obser-