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MORALISTES DE LA FRANCE.

lutte : elle y appliqua ses méditations et ses prévoyances de mère. Les résultats principaux de son expérience définitive allèrent aboutir à son ouvrage sur l’Éducation des Femmes ; mais le roman des Lettres espagnoles en profita aussi, et ouvrit son cadre à cette observation plus entière des choses et des hommes.

Dans la première idée, ce roman ne devait probablement analyser et poursuivre que l’embarras amoureux d’un jeune Espagnol, don Alphonse d’Alovera, placé entre deux jeunes filles charmantes, mais dont il aime l’une, tandis que son ambition lui conseillerait de préférer l’autre. Le ton général, j’imagine, eût été donné par des pensées comme celle-ci : « Pourquoi faut-il que la prudence qui soupçonne ait toujours raison sur la confiance qui espère ? Pourquoi faut-il que tous les arrangemens de la société s’accordent pour troubler les jouissances du cœur ? » En avançant, l’idée s’est agrandie et transformée : le jeune amoureux se trouve mêlé aux grandes affaires ; le ministre, père d’Inès, de celle qu’il faudrait aimer, a pris plus de place, et la peinture de son caractère a envahi le premier plan. Les romans de Walter Scott passaient alors le détroit ; on commençait à y songer à l’exactitude dans la reproduction des lieux et des époques. La première donnée historique ici était vague ; on ne disait pas le règne, on ne désignait qu’en termes généraux le ministre : pourtant Mme de Rémusat, en y insistant, parvint à imprimer à ses tableaux une couleur fidèle, à reproduire de vrais Espagnols, une vraie cour, de vrais moines : il y a un père jésuite qui agit et parle merveilleusement. Cette lecture fait passer sous les yeux un long roman par lettres, développé, sensé, régulier, d’un intérêt lent et croissant, avec des caractères étudiés et suivis, avec des situations prolongées et compliquées, parfaitement définies et menées à fin. J’y trouve des observations du monde, et des délicatesses sentimentales, dans une mesure pourtant qui n’est peut-être ni tout-à-fait le monde même, ni tout-à-fait l’idéal romanesque. On voit une personne qui connaît le cœur, qui possède à fond la réalité des cours, et qui ne dit pas tout. On peut y ressaisir sous d’autres noms le calque ou le reflet de ses propres impressions successives dans sa vie de palais. Comment ne pas reconnaître son début enthousiaste de 1802, lorsque don Alphonse, après un mot flatteur du souverain, s’écrie : « Ah ! ma sœur, que les paroles des rois ont de force et de puissance ! Quels engagemens peuvent nous faire prendre les moindres témoignages de leur bienveillance ! Une légère marque de bonté, une preuve de leur souvenir décide souvent de notre destinée ; le dévouement de notre vie