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pistes, et le véritable progrès, c’est celui qui s’appuie sur les traditions et jette ses fondemens dans l’histoire. Commencez par respecter le passé si vous voulez avoir confiance dans l’avenir. Ce que l’on peut souhaiter de plus heureux, c’est que le goût de l’érudition saine, de la critique sévère, continue à se développer en province et à produire des matériaux pour l’histoire approfondie des systèmes. Rien ne peut contribuer davantage à restituer à la philosophie toute son austérité, toute sa dignité. Cette forte école, cette mâle discipline de l’histoire crée des logiciens et des penseurs. Une intelligence, quelque puissante qu’on la suppose, a besoin de s’être longtemps exercée et d’avoir long-temps fréquenté les maîtres pour donner des œuvres durables.

Il faut donc se féliciter du progrès que font en province les études historiques. La philosophie qui s’y enseigne peut différer suivant les professeurs, et on ne saurait leur demander cette uniformité absolue que ne comporte pas la nature de la science ; mais ils ont entre eux du moins les rapports communs que doivent produire la même direction et les mêmes maîtres. Quelle que soit la haine qui transporte quelques esprits contre ce qu’ils appellent non sans raison l’école régnante, ils doivent convenir du moins que ceux qui en sont les chefs ont toujours été les premiers à se proclamer les disciples de Descartes, de Malebranche et de Leibnitz. Sauf quelques exceptions honteuses, c’est dans cette voie que marche, à l’heure qu’il est, toute la philosophie française, et les belles théories qui ont honoré sous la restauration le renouvellement du spiritualisme en France, loin de nuire au cartésianisme, n’ont fait au contraire que le confirmer, le développer et l’agrandir.

Quelques-uns des livres que nous recevons de la province laissent entrevoir, à côté de cette influence supérieure, les traces d’une autre influence dont les résultats seraient déplorables, si elle n’était combattue à temps. La mode se glisse jusque dans la philosophie, et le romantisme a mis à la mode, dans une certaine classe de gens sans connaissances et sans principes arrêtés, je ne sais quel travestissement scandaleux des dogmes chrétiens qui conduit au scepticisme par l’extravagance, et détruit à la fois, sous prétexte de conciliation, la raison et l’autorité. On oublie, on feint d’oublier que tout système qui s’adresse à la raison doit être accessible à la raison et s’appuyer sur des démonstrations irrécusables. Avec des mots sonores et creux, des paradoxes audacieusement pris pour axiomes et les clameurs d’un parti politique auquel on vend son ame pour quelques éloges,