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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

jours : Tout est-il en paix là d’où tu viens (mirno li sve ou tvoï vilet) ? Et quand on lui a répondu : Sve mirno, tout est en paix, il lève les mains au ciel en signe d’actions de grace. Lui dire qu’il y a guerre, quelque part, ce serait lui prédire le pillage de ses champs, l’outrage de ses filles ; ce serait d’avance le priver du sommeil. N’en sait-on pas assez maintenant sur l’état social des Bulgares ?

V.

La conscience que les Bulgares ont de leur nationalité, bien qu’indécise encore, se réveille cependant peu à peu. Ce mouvement de retour à la vie date de la grande ère des nations européennes, de 1789. L’Autriche et la Russie s’étaient coalisées contre le sultan, qui, trop faible, eut recours contre ses ennemis à la guerre de partisans, et couvrit ses frontières de compagnies franches. Parmi les guerriers bulgares se signala le fils d’un haïdouk bosniaque, qui, sous le nom de Pasvan, avait été empalé à Pristina, après avoir long-temps ravagé la Turquie slave, ne respectant, à en croire les traditions populaires, que les couvens de franciscains et les envoyés du pape. Comme lui, moitié musulman et moitié chrétien, son fils, Omer Pasvan, ayant réuni des bandes de volontaires bulgares, harcela les postes autrichiens de la Serbie, et reçut en retour de ses exploits les petits fiefs de Krdché et de Brza, dans les Balkans. Devenu bientôt baïraktar ou porte-étendard de Vidin, Omer Pasvan irrita par son insolence et son faste le pacha de cette ville, Melek, qui, plusieurs fois, essaya inutilement de le faire assassiner. Enfin, le nouveau baïraktar ayant osé blasphémer publiquement contre le Koran et ses interprètes, les ulémas de Vidin soulevèrent contre lui les pieux croyans, qui se ruèrent en masse vers son konak, et y mirent le feu. Pris les armes à la main, Omer fut livré au bourreau ; mais son fils, Osmari Pasvan Oglou, échappa et demanda un refuge à la tribu albanaise des Guègues. Bientôt après il alla se mettre, avec ses haïdouks, au service de l’hospodar de Valachie, Mavrogenis. Comme son père, Pasvan se signala, dans la guerre contre l’Autriche et la Russie, par des incursions qui s’étendirent jusque sous les murs de Temesvar et d’Hermanstadt. En 1791, il se lia, dit-on, d’amitié avec le héros de la Serbie, Tserni-George. Les Grecs, amis du merveilleux, racontent que ces deux grands haïdouks, après avoir communié ensemble, s’unirent dans une église par le vlam ou pobratstvo (serment de fraternité).