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LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

que revient, ce semble, le devoir de rendre à chacun ce qui lui appartient dans cet inventaire ; c’est à elle de rechercher les titres égarés de notre organisation actuelle, de retrouver le fil interrompu de la tradition, de reconnaître, de ramasser ses véritables morts dans la poudre du champ de bataille, d’honorer ceux qui ont été réellement ses devanciers et ses maîtres, de les isoler, de les séparer de ceux qui ont usurpé et souillé leur drapeau, de manifester enfin, par tous les moyens, cette unité, cette identité de 1789 et de 1830, qui est la plus belle apologie de ces deux grandes dates. Le gouvernement constitutionnel a aussi sa légitimité : pourquoi ne tiendrait-il pas à en montrer les preuves ?

La réimpression de l’ancien Moniteur nous les offre à chaque pas, ces preuves, dès ses premières pages. Le parti des idées constitutionnelles en 1789 s’est appelé, dans notre histoire révolutionnaire, le parti des monarchiens. Il a dominé à l’assemblée constituante quand elle s’est ouverte ; il fut le produit naturel de la première élection libre, l’expression spontanée de l’affranchissement national. Il se composait d’hommes recommandables à divers titres ; Lally-Tollendal et Clermont-Tonnerre y représentaient la noblesse libérale du temps, d’illustres évêques y figuraient pour le clergé, mais les deux noms qui en sont restés la personnification la plus vivante sont ceux de Mounier et de Malouet. C’est que tous deux appartenaient à ce tiers-état, à cette grande bourgeoisie française qui a été de tout temps la véritable puissance politique de notre pays, soit par le barreau et la magistrature, soit par les états-généraux et l’administration, soit par l’esprit municipal, et qui s’apprêtait en 1789 à conquérir la prépondérance définitive et incontestée. Mounier était juge royal à Grenoble et Malouet intendant du port de Toulon, quand la vie publique commença pour eux en même temps que pour la France. Ils se trouvèrent prêts. Bien différens de la plupart de leurs contemporains qui n’avaient que des idées vagues, des besoins indéfinis, leur esprit était déjà plein d’idées nettes, positives et pratiques. On va en juger.

Le passage de Mounier dans notre histoire politique a été court, il n’a duré qu’un an, mais cette seule année devrait suffire pour sa gloire. Quand les trois ordres du Dauphiné se réunirent à Vizille, le 21 juillet 1788, ils élurent Mounier pour secrétaire ; il avait à peine trente ans. Jeune, mais déjà influent par le talent et le caractère, ce fut lui qui anima de son esprit cette assemblée fameuse, imposant prologue de la révolution, lui qui fit adopter les trois premiers principes de notre rénovation politique, l’égalité du nombre entre les