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LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

et de deux chambres ; la différence est dans le fond même de la société, qui, en Angleterre, repose sur le privilége, et, en France, sur l’égalité. Ressemblance et différence, tout était dans le projet de Mounier. Il voulait d’abord une seule assemblée où tous les ordres fussent réunis et toutes les voix égales ; puis, sur cette base de l’unité et de l’égalité, il voulait établir une monarchie constitutionnelle, un roi investi de la puissance publique, une chambre des députés élective et un sénat viager ; enfin, à part quelques erreurs de détail qui ne tiennent pas au fond des choses, ce qui a survécu à toutes nos expériences.

Voilà donc bien réellement un spectacle frappant et qui donne à penser, un homme indiquant dès le premier pas quel doit être le dernier terme de la révolution, et, à la suite de cet homme, tout un parti. Parmi les sept gouvernemens qui se sont succédé depuis, les uns, comme la république et le directoire, ont été au-delà du plan de Mounier ; les autres, comme le despotisme militaire de l’empire et la royauté aristocratique de la restauration, ont été en-deçà. Rien de ce qui était plus ou moins que son programme n’a pu se soutenir, ni la chambre unique de la constitution de 91, ni la fureur niveleuse des jacobins de 93, ni le gouvernement absolu de l’empereur, ni la pairie héréditaire de la charte de 1814. Tout ce qui lui avait paru frappé de mort dans l’ancien régime a péri ; tout ce qui lui avait semblé chimérique dans l’esprit nouveau a échoué. On peut dire ce qu’on voudra sur les causes qui ont empêché en 1789 la réalisation immédiate de ses idées ; le fait même de ces idées ne lui est pas moins acquis et lui assure parmi les hommes qui ont pris part à la fondation d’un gouvernement libre en France le titre glorieux de précurseur.

L’opinion publique ne s’y trompa pas d’abord. Nommé à l’unanimité par les états de sa province à l’assemblée nationale, il fut accueilli avec transport par les députés du tiers ; quand son nom fut entendu pour la première fois dans l’appel nominal, il fut couvert d’applaudissemens. Tant que l’assemblée fut livrée à elle-même, à ses propres instincts, elle suivit les inspirations de Mounier ; ce temps ne dura que trois mois, mais ces trois mois furent peut-être les plus beaux de la révolution. Et il ne faut pas croire qu’ils aient été perdus pour la liberté ; il n’y en eut pas de plus féconds au contraire. La société nouvelle fut fondée alors par la suppression des priviléges. Lors de la séance du jeu de paume, ce fut Mounier lui-même qui proposa le fameux serment de ne se séparer que lorsque la constitution serait