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STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

LA POÉSIE DEPUIS 1830.

Le hasard m’a conduit un jour au dépôt légal, cette nécropole littéraire de la rue de Grenelle, où viennent tomber, pour ainsi dire à chaque heure, les deux exemplaires que doit au gouvernement tout éditeur qui jette au public des pages nouvelles, ne fût-ce qu’un almanach, une satire ou une complainte. Curieux de voir et de feuilleter plutôt que de lire, je regardais avec un intérêt mêlé d’une certaine tristesse tant de volumes qui n’ont laissé, pour sauver leur mémoire, qu’un numéro d’ordre et un titre au Journal de la librairie, et je m’arrêtai long-temps devant les poètes, effrayé de leur nombre et tout surpris de trouver à grand’peine dans cette foule quelques noms vaguement connus. Ô vanité des ambitions littéraires ! — Dormez en paix sous vos couvertures jaunes, roses et bleues, dans vos linceuls satinés, mélodieux rêveurs qui avez chanté sans éveiller d’échos, poètes méconnus qui formez le personnel inamovible du dépôt légal, vous tous que le ministère, même aux jours des plus grandes largesses, même aux jours des élections, oserait à peine offrir aux plus humbles bibliothèques de la province ! Sur ces planches de sapin, votre dernier asile, que d’illusions, que de longues veilles enterrées sans retour ! que de mémoires d’imprimeurs payés par vous et soldés sans profit ! — Les ruines de la pensée sont plus tristes encore que les ruines de la pierre, et l’on ne saurait se défendre d’un sentiment pénible en songeant aux souffrances de tant d’amours-propres déçus, à ces souffrances