Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/996

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
990
REVUE DES DEUX MONDES.

ont gardé des courtisans qui les chantent. Cependant la poésie officielle, la poésie de cour, celle qui célébrait les baptêmes royaux pour avoir part aux dragées, s’est continuée çà et là, modestement et à petit bruit. En 1841, le gouvernement et les principes dynastiques ont même eu la majorité sur le Parnasse. Ils ont compté quinze voix, et l’opposition dix seulement.

Je ne parle pas de la poésie légitimiste ; elle avait gardé, après juillet 1830, un silence absolu, et, depuis, elle paraît s’être concentrée tout entière dans un cercle presque intime, ce qui tendrait à prouver que les courtisans sincères du malheur sont aussi rares dans le camp de la fidélité que dans les autres camps politiques.

Les poètes, pour la plupart, voulaient la guerre et les frontières du Rhin, ils voulaient prendre la Belgique et secourir la Pologne, et ils sont intervenus, par la plume, chez tous les peuples qui se sont trompés en comptant sur nous pour conquérir l’indépendance : ce besoin de mouvement, d’action, de coups de fusil, ces joies de la guerre forment un singulier contraste avec les habitudes de cette autre population poétique que nous avons vue tout à l’heure s’endormir, au clair de lune, dans les molles rêveries. Tandis que l’humanitaire donne le baiser de paix à l’Anglais, notre vieil ennemi, le républicain chante la guerre civile et les Thermopyles de nos carrefours. On célèbre dans la même strophe Henri V et les barricades, la couronne et le pavé qui la brise ; et, quand on relit à distance tous ces vers imprégnés des passions du jour, on est affligé de voir avec quelle rapidité les idées les plus exaltées, les plus fausses, s’allument et se propagent, combien peu de gens savent se préserver des exagérations, et rester en dix ans fidèles à eux-mêmes et au sens commun.

Comme appendice à la poésie politique, nous rencontrons la poésie administrative, qui comprend, entre autres, des épîtres sur le monopole universitaire, des satires sur la réforme des prisons, sur les contributions directes et indirectes, plusieurs philippiques sur l’administration des postes, adressées à M. le directeur N……, conseiller d’état ; puis la poésie de la garde nationale, qui constitue un genre tout-à-fait neuf, un genre inoffensif, à l’égard duquel on aurait tort de se montrer sévère, car il n’aspire pas à changer la face du monde et n’ambitionne pas la gloire. Le soldat citoyen se trouve heureux quand il a chanté l’élection de son capitaine, la remise de son drapeau. L’ode pour ce paisible Tyrtée se borne au toast civique, et il charme les langueurs de la paix en composant l’école lyrique du peloton.

N’oublions pas la poésie utilitaire, la poésie sociétaire et la poésie humanitaire. La poésie utilitaire est industrielle ou agricole ; agricole, elle chante les comices départementaux et la betterave, la betterave, que les poètes méconnus traînent aux gémonies, parce qu’elle détourne l’attention du siècle, et qu’on s’occupe de sucre au lieu de s’occuper de vers. Industrielle, elle célèbre le charbon de terre, elle rime des épîtres sur les causes de l’anéantissement du commerce, sur la misère des garçons tailleurs, des harmonies sur les ponts-et chaussées, dédiées à des ingénieurs civils ; des odes sur l’éclairage au