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Le roi, en permettant aux états provinciaux d’envoyer à Berlin des délégués que la couronne pourra réunir et consulter dans l’intervalle des sessions, a pris une mesure qui, sans fonder le système représentatif, en donne du moins l’avant-goût. Former cette réunion à Berlin sans la consulter, sans soumettre à son examen aucune affaire, serait une moquerie à laquelle certes le gouvernement prussien n’a pas songé et qui n’est plus de notre temps. Là où il n’y avait plus ni esprit public ni énergie, les gouvernemens rétrogrades ont bien pu laisser dormir, mettre en oubli de vieilles institutions dont le pays lui-même ne prenait plus le moindre souci ; mais une institution nouvelle offerte à un peuple qui a bonne mémoire et qui attend beaucoup, une institution qui se trouvera naturellement fécondée par les idées du temps et par l’influence de la presse nationale et étrangère, ne peut être un vain simulacre, une œuvre morte. C’est une plante vivace, jeune et faible, il est vrai, mais qui, à l’aide du temps et des circonstances, poussera de profondes racines et portera ses fruits. Nous sommes convaincus que le gouvernement prussien a prévu et qu’il désire ces développemens progressifs. Le contraire fût-il vrai, la concession ne produirait pas moins des conséquences conformes aux idées du temps et à l’état général des esprits en Prusse. Il en résultera peut-être un gouvernement représentatif qui ne sera pas fait à l’image du nôtre. C’est là une question de forme. Ce qui importe, c’est qu’il en résulte tôt ou tard le partage du pouvoir, c’est que le pouvoir absolu disparaisse, c’est que la monarchie s’allie intimement aux libertés publiques et qu’elle leur donne de suffisantes garanties.

Le jour où ce progrès se trouverait accompli en Prusse, le gouvernement constitutionnel deviendrait chose sérieuse en Allemagne. Aujourd’hui, reléguées dans quelques états secondaires, les institutions représentatives de l’Allemagne manquent de force comme d’éclat. Le pouvoir sent qu’il a des points d’appui hors du pays, et que, si Vienne et Francfort sont satisfaits, il n’a rien à craindre de décisif et de sérieux. La diète germanique pèse d’un poids bien lourd sur les libertés publiques de ces états ; si elle ne les a pas complètement étouffées, elle en a brisé les ressorts, détruit l’énergie. Sans doute il se trouve dans quelques-unes de ces assemblées représentatives des hommes de cœur et de talent. Par leur puissance personnelle, par leurs efforts persévérans, opiniâtres, ils parviennent quelquefois à remuer le corps dont ils font partie, à lui arracher une résolution quasi énergique. À quoi bon ? Le pouvoir arrive, il admoneste ces enfans mutins avec ce ton doucereux, paternel, qui rappelle si fort les romans sentimentaux et larmoyans de nos voisins, il leur promet son pardon s’ils sont plus sages à l’avenir, et tout est dit. C’est ainsi que les choses viennent de se passer dans le grand-duché de Baden. On sent qu’il n’y a rien là de bien sérieux. Les hommes parlementaires qui ont fait preuve de talent et de courage ne s’appuient sur rien ; ils n’ont pas derrière eux une nation puissante et pénétrée du sentiment de son droit. Ces luttes ressemblent plutôt à des exercices académiques qu’à des combats politiques. La liberté n’aura conquis le droit de cité dans les pays