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REVUE. — CHRONIQUE.

gnement secondaire, dont elles sont devenues en quelque sorte le couronnement obligé. Voilà certainement des résultats importans et qui sont à la gloire de notre époque. Toutefois, dans ce retour vers l’étude de la pensée humaine, étude si profitable et qui a produit de nos jours quelques monumens réels et beaucoup de bons livres, une tendance regrettable s’est fait quelquefois sentir. En effet, l’admiration légitime qu’ont excitée chez nous les ingénieux travaux des Écossais, l’étonnement qu’ont produit dans les esprits français les audaces du kantisme, la séduction enfin qu’a exercée sur quelques jeunes intelligences le panthéisme confus de la moderne Allemagne, en un mot ce spectacle de mouvemens métaphysiques si variés et si puissans, tout cela nous a fait un peu trop oublier que la France a sa grande philosophie, qui lui est propre, qui forme son patrimoine intellectuel, qui doit être pour elle une tradition, et à laquelle il importe que les générations nouvelles soient de bonne heure initiées. Outre les éternelles vérités qui sont là fixées sous une forme que le temps n’a pas altérée et qui invite à l’étude, la pratique de ces hauts monumens de la pensée ne peut qu’être utile. Chez ces écrivains de génie, les erreurs même sont des leçons, des leçons au moins de modestie, qui soulèveront la défiance contre ces improvisateurs humanitaires ou néo-chrétiens qui ont la prétention de refaire des philosophies universelles, et de posséder tout entière cette vérité que de si grands hommes n’ont arrachée que par fragmens.

Nous ne saurions donc trop approuver la mesure récente par laquelle les livres les plus considérables de la philosophie nationale viennent d’être introduits dans l’enseignement au détriment des faiseurs d’abrégés et des entrepreneurs de manuels. Descartes aura désormais, dans les écoles, sa place à côté de Corneille, Malebranche la sienne à côté de Racine. C’est là une alliance heureuse et, il faut l’espérer, définitive que la philosophie fait avec les lettres. Ce louable et respectueux retour vers les penseurs du passé nécessitait la réimpression, dans un format commode, de leurs principaux chefs-d’œuvre. C’est à ce besoin que répond l’élégante Bibliothèque Philosophique[1] entreprise par quelques professeurs distingués de l’Université. Entre les ouvrages déjà parus, on remarque un Leibnitz (c’est bien là encore heureusement de la philosophie française) qu’accompagne une solide et remarquable introduction de M. Am. Jacques, et aussi le volume choisi de Descartes que M. Jules Simon, qui s’est fait également l’éditeur de Malebranche, a fait précéder d’un morceau de haute métaphysique. La philosophie religieuse aura ensuite son tour par Fénelon, par Bossuet, par Arnauld ; la philosophie étrangère par Bacon et par Euler. Cette collection nous semble appelée à un légitime succès, car elle popularisera des chefs-d’œuvre, car elle servira la bonne cause aussi bien en métaphysique qu’en littérature. Encore une fois on ne peut qu’adhérer à la pensée élevée qui a inspiré la rénovation de la philosophie nationale dans l’enseignement, et il en faut rapporter l’honneur à M. Cousin.

  1. Librairie de Charpentier, rue de Seine.