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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/1009

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REVUE. — CHRONIQUE.

champion fanatique de celui qu’il appelle son altesse royale l’émir Abd-elKader, a mis sa plume aussi bien que son épée au service de la guerre sainte. Mais nous ne sommes pas de ceux que domine avant tout le ressentiment patriotique, et le mépris que nous inspirent les diatribes anti-françaises de M. Scott ne nous eût pas empêché de prendre plaisir aux détails qu’il aurait pu nous donner sur l’armée de brigands dont il est, à ce qu’il semble, un des majors-généraux.

Malheureusement ces détails sont rares et clairsemés dans son volume, où trop de pages sont consacrées à soutenir les droits et à justifier la politique du nouveau maître qu’il s’est donné. Nous nous devons, et nous devons au bon sens, de laisser celles-là de côté : elles ne méritent pas une réfutation sérieuse, et nous abandonnons à d’autres le soin puéril d’y chercher matière à plaisanteries. La tâche que nous nous réservons est d’extraire au courant de notre lecture quelques anecdotes et quelques tableaux de mœurs auxquels les circonstances présentes peuvent donner un certain prix.

D’abord présentons régulièrement le colonel Scott à nos lecteurs. Il paraît que ce guerrier nomade a promené sur tous les continens du monde, sans leur trouver un emploi définitif, son courage et ses connaissances militaires ; du moins il parle en homme qui les aurait vues, de la France, de l’Espagne, du Portugal, de l’Amérique du Sud et même de l’Australie. À l’époque où furent signés les fameux articles de Bergara qui pacifièrent l’Espagne, M. Scott servait (il ne nous dit pas à quel titre) dans le 18e régiment d’infanterie espagnole. Maroto avait obtenu, comme on le sait, que les officiers carlistes conserveraient dans l’armée d’Isabelle II les grades conquis au service du prétendant. Cette mesure révolta M. Scott. Il ne put, nous dit-il, se faire à l’idée de servir sous les ordres de « ces hommes qui avaient défendu la cause du despotisme et assassiné de sang-froid un grand nombre de ses compagnons d’armes. » Les blessures qui le rendaient incapable du service à pied lui donnaient à la vérité le droit de passer dans la cavalerie ; mais, là comme ailleurs, il se fût retrouvé en contact avec ses antagonistes de la veille, et ce motif, joint à l’admiration que lui inspirait « la glorieuse résistance de l’émir Abd-el-Kader, » lui fit quitter le service d’Espagne pour aller chercher fortune à Tegedempt[1]. Ce fut le 25 février 1840 que le colonel s’embarqua à Gibraltar pour se rendre à Tétouan, qu’il appelle Tetaun. Les lecteurs de la Revue, qui n’ont pas oublié la description que M. Charles Didier nous a donnée de cette dernière cité, la connaissent trop bien pour qu’il soit nécessaire de peindre de nouveau, d’après le voyageur anglais, ses rues étroites et sales, son peuple de marchands juifs ou même ses belles jeunes filles aux

  1. M. Noël Mannucci, qui est à la fois l’ambassadeur universel d’Abd-el-Kader et son ministre des affaires étrangères, se trouve tout à point auprès de M. Scott pour profiter de ses bonnes dispositions et l’enrôler, — nous nous servons du mot honnête, — dans l’état-major de son altesse royale.