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prince qui, par le bon sens, le courage et l’esprit, faisait le mieux éclater en lui le caractère de sa nation, cet Henri IV, le représentant français du midi vif, brillant et gai, contre le midi sombre et dur de l’inquisition et de Philippe II.

Cette résistance naturelle de l’esprit français à l’esprit espagnol n’a pas assez frappé peut-être l’auteur de l’ouvrage que couronne l’Académie ; mais quelle instructive vérité dans son travail ! quelle vive et juste peinture du XVIe siècle espagnol, de ces grands écrivains parmi lesquels on regrette seulement de ne pas voir cités Christophe Colomb et Cortès, si éloquens dans leurs journaux de voyage et dans leurs lettres, et sainte Thérèse, si sublime dans ses mystiques ouvrages ! Notre habile critique s’est attaché surtout aux lettrés de profession, indiquant avec justesse et étendue les écoles diverses, les révolutions de goût, les variations de la langue et de l’art, sans négliger toutefois quelques esprits originaux qui mêlèrent le talent d’écrire à l’action, l’élégant Garcilasso de la Vega, guerrier redouté de l’Italie ; Hurtado de Mendoza, génie triste et fier qui a composé, dans sa jeunesse, le meilleur modèle du roman bouffon, Hurtado de Mendoza, l’implacable gouverneur de Sienne, tyran qui écrit l’histoire comme Tacite ; enfin, l’aventurier, le soldat espagnol dans le Nouveau-Monde, Alonzo de Ercilla, poète nerveux et simple, auquel, pour approcher de la palme épique, il n’a manqué peut-être qu’un sujet plus connu et des malheurs plus célèbres.

Mais ce n’est pas à ces hommes puissans, presque ignorés hors de l’Espagne, qu’il fut donné d’agir sur l’esprit français. Deux influences seulement nous arrivèrent d’Espagne ; l’une subtile et tout artificielle, l’autre bruyante et populaire ; l’une tenant au travail du style, aux combinaisons du langage, l’autre à la puissance facile de l’invention et de la fantaisie ; l’une gâtant ou façonnant quelques esprits ingénieux, depuis Balzac et Voiture, jusqu’au père Bouhours, l’autre éveillant la poésie de Corneille et la portant de Médée jusqu’au Cid et à Polyeucte, au-delà desquels l’esprit humain ne s’élève pas.

C’est surtout, messieurs, cette richesse d’invention, ce torrent inépuisable du drame espagnol que les auteurs des mémoires envoyés à l’Académie se sont plu à décrire, depuis la comédie de la Célestine, qui courut toute l’Europe, jusqu’à ces Actes sacramentaux de Calderon, comparés par un savant moderne aux plus sublimes accens de la tragédie grecque. Peut-être l’auteur du no 1er aurait-il dû rappeler que cette veine puissante du théâtre espagnol avait agi même sur le théâtre anglais, qu’on a cru si spontanément original. Le mariage de Philippe II avec la reine Marie, cet empiétement peu durable de l’Espagne sur l’Angleterre, fut cependant la date et l’occasion d’un rapprochement intellectuel entre les deux peuples. Pareille influence ne s’exerça pas sur la France pendant le XVIe siècle, et ce n’est qu’au moment où l’Espagne déclinait de sa grandeur, où Richelieu abaissait partout la maison d’Autriche, que la France accueillit, par curiosité et comme une mode