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domine pour nous l’art de penser et d’écrire ! Quel objet plus digne de la philosophie de notre temps que de s’attacher à bien comprendre à la fois la grandeur des travaux de Pascal et la passion qui les inspirait ! Quel spectacle plus touchant et plus tragique, dans l’ordre de la réflexion, que de contempler cette sublime intelligence aux prises avec les douleurs physiques et avec le tourment moral d’une conviction tour à tour ébranlée ou menaçante ! Quelles plus grandes luttes à étaler aux regards de l’homme que les deux luttes qui consumèrent la force, et auxquelles ne suffit pas la vie si tôt dévorée de Pascal : la lutte pour le libre examen, pour le droit de penser, pour le droit d’inventer dans la science, de juger dans la morale, de protester même dans la foi puis la lutte, plus longue et plus rude encore, pour le maintien de la règle et de la vérité contre l’invasion illimitée du scepticisme, et contre cette extrême indépendance qui n’est que la puissance de nier et de détruire ! Et si on cherche encore Pascal dans les amis qui l’entouraient, quel intérêt plus historique et plus durable que la peinture de ces fortes mœurs et de ces grands caractères, sur lesquels notre curiosité se reporte maintenant avec plaisir, et que d’ingénieux et récens travaux ont rapprochés de nous, par l’imagination du moins ! Enfin, quel souvenir plus instructif aujourd’hui même, et quelle polémique plus intelligible pour notre temps que la résistance passionnée de tant d’hommes éclairés et vertueux dont Pascal était l’ame et la voix, contre cette société remuante et impérieuse que l’esprit de gouvernement et l’esprit de liberté repoussent avec une égale méfiance !

Quelle puissante variété dans un homme ! Quel intérêt général dans une seule cause ! Et combien de grandes questions dans un seul sujet ! Aussi, messieurs, ce sujet a-t-il suscité de remarquables efforts. Rarement semblables recherches, rarement si graves et si nobles essais furent envoyés à l’Académie. C’est une satisfaction pour nous d’avoir proposé cette épreuve, qui a rencontré des esprits dignes d’elle. Parmi les ouvrages réservés, deux discours ont fait hésiter l’académie ; elle partage entre eux le prix qui vient d’être augmenté par un ordre du roi. Très divers par l’étendue, la forme, les détails, mais se rapprochant sur deux points, l’élévation morale et le talent, ces discours sont un signe éclatant du progrès de la philosophie spiritualiste et de l’histoire impartiale. Parlons d’abord du discours inscrit sous le no 13, avec cette épigraphe de saint Paul : Oportet hæreses esse. C’est le travail vigoureux d’un esprit libre, nourri de réflexion et de solitude, qui lui-même a vivement saisi les sciences mathématiques, première originalité de Pascal, et qui, par cela même peut-être, ne l’admire pas assez sous ce rapport, trompé qu’il est par la facilité des méthodes actuelles. Mais cet esprit de mathématicien moderne s’est en même temps plié aux fortes études de langues et de philosophie anciennes, de littérature comparée, et même de scolastique. L’ordre de son discours n’est pas assez marqué ; on pourrait y retrancher, sans faiblir ; mais l’ouvrage est savant, impartial, et parfois éloquent. L’auteur aime avec passion les choses dont il parle, la pensée libre, la religion aus-