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passe-temps qui sert de titre à son récit. Je m’attendais à y trouver quelques-unes de ces galantes conversations et de ces amusemens délicats qui sont à l’amour, selon Dryden, ce que le reflet d’une flamme répété par un miroir est à la flamme même. Nullement. Vous trouverez dans Flirtation deux assassinats, un incendie, un jésuite intrigant et faussaire, des mystères sans nombre, une femme de chambre jalouse et perfide, un poudding accommodé à l’arsenic. Tout cela s’appelle coquetterie. Ferrers ne vaut pas mieux. On y compte trois voleurs, quatre assassins, plusieurs espions de police, enfin un aimable gentilhomme, amoureux de sa sœur qu’il empoisonne, et se retirant ensuite dans un ermitage, pour y mener une vie exemplaire. Ce chef-d’œuvre appartient à M. Ollier.

Ainsi se continue aujourd’hui, par ses défauts même et le goût du public pour ces défauts, l’école de la terreur pittoresque fondée par Lewis et Mme Radcliffe, et mêlée à quelque chose de l’anathème révolutionnaire échappé à Godwin. En vain publie-t-on des traductions anglaises très fidèles du Wilhelm Meister de Goethe et des nouvelles de Tieck. Ces produits métaphysiques d’un autre monde social n’ont pas encore de prise sur l’intelligence anglaise. Il suffirait de choisir les noms de l’Allemand Tieck et de l’Anglais Ainsworth, pour signifier et caractériser la littérature germanique dans son excès contemporain et la littérature anglaise dans sa décadence actuelle. Tieck, c’est vapeur et fantaisie ; Ainsworth, c’est brutalité et dureté. L’un ne fait que des rêves, l’autre écrit comme il boxerait. La spiritualité de nos voisins d’outre-Rhin et la réalité de nos voisins d’outre-Manche éclatent dans ces œuvres avec une franchise très curieuse. Ainsworth est à peu près sans valeur ; Tieck, au contraire, en a beaucoup. Chez Ainsworth dominent la recette, la spéculation et le métier ; chez Tieck, une recherche de l’art trop savante et trop mystique produit une subtilité un peu effacée. Personne ne confondra ce malheur honorable d’un écrivain trop religieux envers l’art avec l’incurie d’un fabricant en gros qui s’embarrasse peu de ses travaux et de leur mérite, pourvu que la livraison s’opère avec régularité et que le débit soit satisfaisant.

L’esprit singulier et rare de Tieck, dépourvu de force créatrice personnelle, résonne admirablement sous l’influence des talens supérieurs, et se colore, s’échauffe, s’anime par une imitation vivante, qui est à elle seule un instinct analogue, mais inférieur au génie. Puissance lumineuse, mais qui n’éclate que sous le rayon du soleil, Tieck a besoin de recevoir l’influence extérieure pour produire. Avec