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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/212

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REVUE DES DEUX MONDES.

On s’est engoué tour à tour du roman du beau monde, du roman bourgeois, du roman maritime, et, après leur avoir donné un succès passager, on les a chassés honteusement. Jetons un coup d’œil rapide sur ces ramifications si nombreuses, qu’à peine peut-on les embrasser. D’abord se présente le roman de la famille, la narration du coin du feu, choisissant un seul groupe, le mettant à part sous sa cloche et sous la loupe, puis décrivant tout ce qui lui appartient, passions, vices, qualités, évènemens, personnages. L’Écossais Galt a pris cette petite route avec caprice et bonne humeur, vivacité et sagacité ; Wilson, avec verve, chaleur et sympathie ardente pour les peines humaines. La vie rustique et provinciale leur a fourni de très aimables livres. Lord Normanby, Ward, Mme Gore, lady Charlotte Bury, lady Blessington, se sont parqués dans la vie de salon, high life ; ils ont fondé l’école du Couvert d’argent, comme la nomment les critiques, école toute d’étiquette, de décence, de raffinement et de pruderie supérieure.

La production de ce genre de romans s’est ralentie depuis plusieurs années ; cependant mistriss Trollope, qui s’y retranche avec ses idées aristocratiques, le relève par une vivacité et une amertume satiriques très amusantes que le goût ne modèle pas toujours. Elle vient de publier les Blue Belles, titre allitératif et sonore, qui renferme même une intention de calembour. Ce n’est pas un roman sans mérite. J’aime beaucoup le personnage d’un certain poète sentimental dont la sensibilité s’exerce aux dépens des autres et tourne au profit de celui qui la possède. Cette délicatesse exquise de l’égoïsme, cette variété moderne, ce raffinement d’une personnalité qui se renferme en elle-même et qui fait de la philantropie pour ne pas faire de bien, méritaient d’être analysés ; c’est un des grands traits comiques de notre époque.

Le roman bourgeois et demi-bourgeois appartient en toute propriété à Théodore Hook. Esprit sans imagination, sans passion, sans poésie, mais singulièrement apte à saisir et à reproduire les ridicules de la classe moyenne, ses prétentions comiques et ses aspirations vers un bon goût, une grace et une élégance supérieures, — Hook abondait en saillies et ne s’épargnait pas le calembour ; on lui attribuait, pendant sa vie, toutes les inventions de ce genre. Personne n’a mieux peint la gouvernante, la sous-maîtresse, l’intendant, le valet de chambre et le vieux rentier ; mais, hors de l’Angleterre et de certaines portions de la communauté anglaise, il faut renoncer à le comprendre. Grace à ce fractionnement et à cette manie analy-