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compter la quatrième pièce, appelée satyre, qui n’était qu’une parodie ou une parade bouffonne destinée à effacer les impressions trop douloureuses de la tragédie. De même que les confrères du moyen-âge chrétien représentaient les miracles, la passion et la résurrection de Notre-Seigneur, ainsi les trilogies d’Eschyle représentaient les trois termes des mystères d’Osiris ou de Bacchus. Seulement les personnages étaient autres ; exposer sur la scène le Bacchus ou la Cérès des mystères, c’eût été dangereux ; c’était déjà bien hardi d’en divulguer les idées fondamentales sous d’autres noms ; pourtant c’est ce qu’on fit. Examinez en effet les pièces qui nous restent d’Eschyle, et, à l’aide des documens que l’antiquité nous a laissés sur les autres, quelques-unes de ses trilogies.

D’abord vous trouverez celle de Prométhée. La première partie s’appelait Prométhée inventeur du feu : c’est l’homme qui, pour avoir dérobé le feu, c’est-à-dire la science, principe des progrès, se voit condamné à une expiation cruelle ; c’est par conséquent la chute de l’homme. La seconde partie, c’est Prométhée enchaîné, cette tragédie fantastique et vigoureuse que nous avons encore. L’homme, coupable d’avoir voulu savoir par lui-même et s’égaler à Jupiter, est attaché sur la montagne par les envoyés de ce dieu ; sa douleur affecte la nature entière ; l’Océan et ses nymphes, Io ou Isis, la terre, viennent pleurer avec lui. Mais rien ne console sa peine, rien n’apaise sa révolte, nul ne peut faire taire ses blasphèmes ; il annonce la fin prochaine de sa période de douleur, il prédit la chute du dieu régnant et l’arrivée de son rédempteur Hercule, qui doit briser ses fers. La troisième partie, c’était Prométhée délivré ou racheté : Hercule, son sauveur si long-temps attendu, fils du dieu suprême, tuait le vautour du châtiment et délivrait la victime. Il n’est pas nécessaire sans doute d’insister pour faire remarquer ici les trois termes mystiques du bonheur perdu, de la souffrance expiatoire et de la rédemption ou résurrection, contenus dans cette trilogie d’Eschyle. Le fait historique qui avait donné lieu à la fable de Prométhée était, croyons-nous, l’oppression de la race indigène des Pélasges par la conquête sacerdotale des Égyptiens : Prométhée, c’est la nation pélasgique qui veut se développer avec indépendance ; Jupiter, c’est Ammon ou l’Égypte, qui la réduit en servitude ; Hercule, c’est la famille hellénique qui réagit plus tard contre les conquérans. Mais la tradition donnait à tous ces grands faits une portée théologique et générale ; elle dégageait l’unité de la variété, elle cherchait la destinée humaine dans les destinées parti-