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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

Cette exécution ne se fait pas attendre. « Nul ne peut émettre des opinions contraires aux principes sacrés de l’égalité. » Telle est la loi, et elle a des airs menaçans pour les raisonneurs. Le bonheur des égaux est ainsi fait ; il ne se laisse pas discuter, il faut s’y plaire par ordre. Sa vertu repose dans une suite de servitudes. Partout une discipline inexorable se retrouve. Cependant, en plusieurs occasions, cette égalité se permet d’être inconséquente et contradictoire. Pour de certains emplois, elle exige des conditions de capacité ; pour d’autres fonctions, elle reconnaît le privilége de l’âge. Avant d’être inscrit au livre d’or des citoyens, il faut confesser publiquement la croyance communiste ; autrement on se voit expulsé du territoire et condamné à un exil éternel. Rien d’ailleurs ne semble formel dans cette organisation pleine de démentis et d’ellipses. Ce pouvoir n’est terrible qu’en apparence ; ce despotisme manque de sanction ; on voit l’obéissance partout, on n’aperçoit nulle part les moyens de la maintenir. Des assemblées populaires délèguent leurs pouvoirs en les retenant : tout le monde gouverne et personne ne gouverne. L’armée est une institution mobile, se composant, se décomposant suivant le besoin. Tous les citoyens en font partie ; la paie se réduit au seul entretien, les grades sont électifs et temporaires. Le général redevient soldat, le soldat passe général ; l’égalité se rétablit par l’équilibre des inégalités. De cette façon, rien ne prend le caractère d’un privilége permanent. La dissolution de l’armée est une garantie contre la dictature militaire ; la destitution des magistrats, la faculté de censure, réservées au peuple, sont un frein contre les abus et les empiètemens du pouvoir. Chacun porte ses chaînes, subit sa part d’esclavage. Vis-à-vis des étrangers, ce despotisme est plus odieux encore : les égaux les frappent d’interdit ou les condamnent à un séquestre rigoureux. Des barrières infranchissables doivent s’élever sur la frontière, afin de préserver le pays de tout contact impur, comme si la communauté craignait les ravages de l’exemple et n’avait pas la conscience entière de son droit. Une douane impitoyable a en outre pour consigne de confisquer, le cas échéant, les frivolités étrangères, les modes, les produits corrupteurs, et les furieux obstinés paient par de rudes épreuves le spectacle de cette félicité ombrageuse.

Ainsi fonctionne ce régime des égaux, qui n’est autre chose que la vie sociale sous un appareil pneumatique. On y étouffe, on y manque d’air ; le fatalisme s’y complique d’une activité machinale et d’un anéantissement de la personnalité. Les égaux, il faut le dire, ne se flattaient pas que les bienfaits de cette métamorphose fussent