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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

tiennent à l’écart. Maintenant rien de tout cela : on parle au contraire d’étendre, d’une manière indéfinie l’action de l’autorité ; et non-seulement dans la politique, mais dans l’ordre entier des relations humaines, vulgaires ou élevées, grandes ou petites. On pensait hier que la puissance qu’ont les individus de disposer d’eux-mêmes et d’exercer librement leurs facultés était la plus précieuse conquête des siècles ; aujourd’hui on affirme qu’il n’y a de perfectionnement possible que dans la servitude des individus, dans l’enchaînement de leur essor particulier. Telle est la logique des partisans de la communauté. Un homme devient un chiffre, une simple unité, et toutes les unités se valent. Le despotisme ne s’exercera plus du fort aux faibles, mais des faibles aux forts ; il n’ira plus des intelligens aux ignorans, mais des ignorans aux intelligens. Le règne des intelligens et des forts n’a pas été exempt d’abus, d’injustices et de violences ; celui des ignorans et des faibles sera un modèle de mansuétude, de désintéressement et de vertu. Réduite aux termes les plus simples, ainsi s’exprime la nouvelle théorie.

À cette illusion vient s’en joindre une autre. Les partisans de la communauté attribuent une grande puissance à la suppression des valeurs métalliques et des signes représentatifs analogues. Tous, ils s’imaginent que cette mesure aura pour effet d’empêcher l’accumulation des richesses et de détruire l’accaparement. C’est se rendre bien imparfaitement compte du rôle que jouent la monnaie et les équivalens dans le régime économique : l’action de ces valeurs n’est pas directe, mais indirecte ; c’est là une vérité élémentaire. L’argent une fois disparu, la convoitise humaine s’attachera aux objets eux-mêmes, aux produits, aux jouissances dont il n’est que l’intermédiaire. Si les échanges demeurent libres entre les individus, ce sera à la monnaie près, le régime actuel, et l’épargne ou l’habileté auront bientôt créé l’accumulation. Si le gouvernement proscrit les échanges et s’attribue toute l’activité industrielle, commerciale et agricole, la cupidité particulière se manifestera par voie de détournement, de dissimulation de produits, par des besoins feints ou des réserves cachées, comme cela arrive dans toutes les distributions en nature. À l’aide de quels moyens complètement efficaces l’état pourra-t-il empêcher le vigneron de boire quelques pièces de son vin, le laboureur de se réserver quelques sacs de son froment ? Faudra-t-il les obliger l’un et l’autre à transporter en gros leurs récoltes dans les magasins publics pour leur donner le souci d’aller les reprendre plus tard en détail ? Ensuite, où est la garantie d’une répartition impartiale ? Les magistrats investis de cette fonction, ou, sinon eux, leurs agens subal-