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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/272

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REVUE DES DEUX MONDES.

tête de quelque brune servante andalouse, encadrée par une étroite fenêtre moresque, produit un effet oriental assez satisfaisant. Dans le fond, au-dessus du vilain toit de tuiles rondes qui a remplacé les poutres de cèdre et les tuiles dorées de la toiture arabe, s’élève majestueusement la tour de Comares, dont les créneaux découpent leurs dentelures vermeilles dans l’admirable limpidité du ciel. Cette tour renferme la salle des Ambassadeurs, et communique avec le Patio de los Arrayanes par une espèce d’antichambre nommée la barca, à cause de sa forme.

L’antichambre de la salle des Ambassadeurs est digne de sa destination : la hardiesse de ses arcades, la variété, l’enlacement de ses arabesques, les mosaïques de ses murailles, le travail de sa voûte de stuc, fouillée comme un plafond de grotte à stalactites, peinte d’azur, de vert et de rouge, dont les traces sont encore visibles, forment un ensemble d’une originalité et d’une bizarrerie charmantes.

De chaque côté de la porte qui mène à la salle des Ambassadeurs, dans le jambage même de l’arcade, au-dessus du revêtement de carreaux vernissés dont les triangles de couleurs tranchantes garnissent le bas des murs, sont creusées en forme de petites chapelles deux niches de marbre blanc sculptées avec une extrême délicatesse. C’est là que les anciens Mores déposaient leurs babouches avant d’entrer, en signe de déférence, à peu près comme nous ôtons nos chapeaux dans les endroits respectables.

La salle des Ambassadeurs, une des plus grandes de l’Alhambra, remplit tout l’intérieur de la tour de Comares. Le plafond, de bois de cèdre, offre les combinaisons mathémathiques si familières aux architectes arabes : tous les morceaux sont ajustés de façon à ce que leurs angles, sortans ou rentrans, forment une variété infinie de dessins ; les murailles disparaissent sous un réseau d’ornemens si serrés, si inextricablement enlacés, qu’on ne saurait mieux les comparer qu’à plusieurs guipures posées les unes sur les autres. L’architecture gothique, avec ses dentelles de pierre et ses rosaces découpées à jour, n’est rien à côté de cela. Les truelles à poisson, les broderies de papier frappées à l’emporte-pièce dont les confiseurs couvrent leurs dragées, peuvent seules en donner une idée. Un des caractères du style moresque est d’offrir très peu de saillies et très peu de profils. Toute cette ornementation se développe sur des plans unis et ne dépasse guère quatre à cinq pouces de relief ; c’est comme une espèce de tapisserie exécutée dans la muraille même. Un élément particulier la distingue : c’est l’emploi de l’écriture comme motif de