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SOUVENIRS DE GRENADE.

de Decamps et de Marilhat, qui n’ont peint que des sites d’Asie ou d’Afrique, donnent de l’Espagne une idée bien plus juste que tous les tableaux rapportés à grands frais de la Péninsule.

Nous traverserons sans nous y arrêter le jardin de Lindaraja, qui n’est plus qu’un terrain inculte constellé de décombres, hérissé de broussailles, et nous entrerons un instant dans les bains de la Sultane, revêtus de mosaïque de carreaux de terre vernissée, brodés de filigrane de plâtre à faire honte aux madrépores les plus compliqués. Une fontaine occupe le milieu de la pièce ; deux espèces d’alcôves sont pratiquées dans le mur ; c’était là que Chaîne-des-Cœurs et Zobéide venaient se reposer sur des carreaux de toile d’or après avoir savouré les délices et les raffinemens d’un bain oriental. On voit encore, à une quinzaine de pieds du sol, les tribunes ou balcons où se plaçaient les musiciens et les chanteurs. Les baignoires sont de grandes cuves de marbre blanc d’un seul morceau placées dans de petits cabinets voûtés, éclairés par des rosaces ou étoiles découpées à jour. — Nous ne parlerons pas, de peur de tomber en des répétitions fastidieuses, de la salle des Secrets, où l’on remarque un effet d’acoustique singulier, et dont les angles sont noircis par le nez des curieux qui vont y chuchotter quelque impertinence fidèlement transportée à l’autre coin ; de la salle des Nymphes, où l’on voit au-dessus de la porte un excellent bas-relief de Jupiter changé en cygne et caressant Léda, d’une liberté de composition et d’une audace de ciseau extraordinaires ; des appartemens de Charles-Quint, outrageusement dévastés, qui n’ont plus rien de curieux que leurs plafonds chamarrés de l’ambitieuse devise non plus ultra ; et nous nous transporterons dans la cour des Lions, le morceau le plus curieux et le mieux conservé de l’Alhambra.

Les gravures anglaises et les nombreux dessins que l’on a publiés de la cour des Lions n’en donnent qu’une idée fort incomplète et très fausse ; ils manquent presque tous de proportions, et, par la surcharge que nécessite le rendu des détails infinis de l’architecture arabe, font concevoir un monument d’une bien plus grande importance.

La cour des Lions a cent vingt pieds de long, soixante-treize de large, et les galeries qui l’entourent ne dépassent pas vingt-deux pieds de haut. Elles sont formées par cent vingt-huit colonnes de marbre blanc appareillées dans un désordre symétrique de quatre en quatre et de trois en trois ; ces colonnes, dont les chapiteaux très ouvragés conservent des traces d’or et de couleur, supportent des arcs d’une élégance extrême et d’une coupe toute particulière.