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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/288

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filles qu’ils attiraient ou faisaient enlever. Il est à remarquer que c’est dans les pays les plus catholiques que les choses saintes, les prêtres et les moines sont traités le plus légèrement ; les couplets et les contes espagnols sur les religieux n’ont rien à envier, pour la licence, aux facéties de Marot et de Beroalde de Verville, et, à voir la manière dont sont parodiées dans les vieilles pièces de théâtre les cérémonies de la religion, on ne se douterait guère que l’inquisition ait existé.

À propos de bain, plaçons ici un petit détail qui prouvera que l’art thermal, porté à un si haut degré par les Arabes, est bien déchu à Grenade de son antique splendeur. Notre guide nous conduisit à un établissement de bains assez joliment arrangé, avec des cabinets disposés autour d’un patio ombragé d’un plafond de pampres, et occupé en grande partie par un réservoir d’une eau fort limpide. Jusque-là tout allait bien, mais en quoi pensez-vous que pouvaient être faites les baignoires ? En cuivre, en zinc, en pierre, en bois ? Pas du tout, vous n’y êtes pas ; — nous allons vous le dire, car vous ne le devineriez jamais. C’étaient d’énormes jarres d’argile comme celles où l’on conserve l’huile ; ces baignoires d’un nouveau genre étaient enterrées jusqu’aux deux tiers à peu près de leur hauteur. Avant de nous empoter dans ces cruches, nous les fîmes garnir d’un drap blanc, précaution de propreté qui parut extrêmement bizarre au baigneur, et que nous eûmes besoin de lui recommander plusieurs fois pour nous faire obéir, tant elle l’étonnait. Il s’expliqua ce caprice à lui-même en faisant un geste commisératif des épaules et de la tête, et en disant à demi-voix ce seul mot : — Ingleses ! — Nous nous tenions accroupis dans nos pots, la tête passant en dehors, à peu près comme des perdrix en terrine, et faisant une mine assez grotesque. C’est seulement alors que je compris l’histoire d’Ali-Baba ou les Quarante voleurs, qui m’avait toujours paru un peu difficile à croire, et fait douter un instant de la véracité des Mille et une Nuits.

Il y a bien dans l’Albaycin d’anciens bains moresques, une piscine recouverte d’une voûte trouée de petits soupiraux étoilés, mais ils ne sont pas installés, et l’on n’y aurait que de l’eau froide.


Voici à peu près ce que l’on peut remarquer à Grenade, dans un séjour de quelques semaines. Les distractions y sont rares : le théâtre est fermé pendant l’été ; il n’y a pas de casinos ni d’établissemens publics, et l’on ne trouve de journaux français et étrangers qu’au Lycée, dont les membres donnent à certains jours des séances où