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elles ne donnent naissance qu’à de petites rivières qui toutes vont de l’est à l’ouest ou du nord-est au sud-ouest. Le principal de ces cours d’eau est le Dril ou Drin. Il y a le Drin noir et le Drin blanc ; le premier, tombant des monts Zagoriates, forme, à huit lieues de sa source, au-dessous d’Ocrida, le plus grand lac d’Albanie ; puis il reçoit près de Stana le Drin blanc, descendu du mont Bora, contre-fort du Scardus, situé dans le district serbe de Pristina. Les deux brins, réunis alors sous le nom de Drina, coulent au nord-ouest, puis au sud, en séparant les tribus Chkipetares des tribus iliriennes. Le Drin, qui longe les chaînes inaccessibles nommées Ora-Laka (montagnes des esprits), est le roi des fleuves albanais, et c’est aussi sur ses bords qu’habite le peuple-roi de l’Albanie, la noble race des Mirdites. Après le Drin, les courans d’eau les plus considérables de l’Albanie sont la Boïana, qui sort du lac de Skadar, puis la Voïoussa, l’ancien Aous ; ce fleuve, encaissé entre deux murs de rochers, est le plus profond de toute la presqu’île gréco-slave. Quant aux rivières du sud, la Matia, le Berathino, la Kalamas, la Longovitsa, la Pavla, l’Achéron ou Glykys, ce ne sont que des torrens. On les traverse sur des ponts en ogive et à dos d’âne qui s’élèvent quelquefois jusqu’à cinquante pieds au-dessus du niveau de la rivière. Aussi, quand ces ponts étroits, pavés de petits cailloux aigus, se trouvent sans parapets, on ne peut s’empêcher de frémir en y passant à cheval.

Aucune province turque n’offre au voyageur qui veut la parcourir d’aussi sérieux dangers que l’Albanie. Tout y paraît embûche et effraie l’étranger qui n’a pas encore pénétré dans la vie intime de ces redoutables tribus. Il tremble même en approchant des karaouls, tours de police dont le pays est rempli : ces postes militaires sont tantôt de simples kolibas, huttes de branchage, tantôt des koulas, tours carrées à deux étages, bâties en pierre sur des pointes de roc qui dominent les défilés. Là le kavase en vedette, assis les jambes croisées sur sa galerie aérienne, joue de la tamboura et chante les exploits des klephtes, ses anciens frères d’armes ou ses illustres aïeux, tandis que du souterrain de la koula la prière plaintive des brigands qu’il vient de faire prisonniers monte vers lui et se mêle à ses chants. Les frontières des districts libres sont également bordées de haïdouks au guet, prêts à assaillir tout Osmanli qui oserait entrer en maître dans ces champs d’asile. Le voyageur même qui se présente à eux, s’il ne parle pas le grec ou quelque langue chrétienne d’Orient, leur devient tellement suspect, qu’il ne peut obtenir ni gîte ni nourriture. S’il arrive le soir avec une escorte dans un village, femmes et