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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/395

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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

péen se résoudrait difficilement aux énormes frais de campagne nécessaires pour forcer dans leurs inaccessibles retranchemens des montagnards naturellement rebelles à toute domination étrangère.

III.

Faire l’histoire de la Chkipérie, ce serait donner la clé de bien des mystères qu’offrent encore les rapports mutuels des langues et des peuples de l’Orient européen ; mais qui pourrait écrire cette histoire ? Un seul fait se dégage nettement du chaos des annales albanaises c’est qu’à toutes les époques le peuple chkipetar semble destiné à former le dernier boulevard des libertés gréco-slaves. C’est lui qui résista le plus long-temps aux Romains ; attaqué avant les Grecs, il ne céda qu’après eux. Jamais il n’a subi complètement le joug des sultans. Depuis que l’astuce ottomane l’a désorganisé, il tourne vers la guerre toute son énergie, et sur les champs de bataille il a été maintes fois la terreur de l’Orient et de l’Occident. On doit remarquer cependant que tous les grands hommes sortis du sein de la nation albanaise ont fini par devenir ou Slaves ou Grecs, et par léguer leur nom et leur gloire à l’une ou à l’autre de ces deux sociétés. Ce phénomène moral ne saurait avoir d’autre cause que la destinée primitive des Albanais, placés comme intermédiaires entre les deux grandes races de la péninsule classique.

Malgré tous les efforts des savans, la généalogie des Albanais est encore un problème. Si l’on s’en rapporte aux Mirdites, qui se croient la plus noble race du monde, et qui regardent les Français comme le plus glorieux peuple après eux, l’Albanais est frère de berceau du Français. Moins complaisante, l’histoire nous montre l’Albanie ancienne dans le Caucase, limitée au sud par l’Arménie, et à l’orient par la mer Caspienne, le pays des Chétechips et l’Ibérie, Épire caucasienne, actuellement nommée Grusie. La capitale de cette Albanie primitive se nommait Albanum ; elle occupait à peu près l’emplacement de la ville moderne de Bakou, et le Samour doit être le fleuve Albane des anciens géographes. L’importante cité de Ksamakhia, aujourd’hui Chamakhia, fut probablement la patrie des Djames. La tribu des Toxides trouvée en Mingrélie par le voyageur Chardin doit se rattacher aux Toskes ou Toxides d’Europe. Ptolémée semble déjà désigner les Albanais au second siècle de notre ère quand il parle des montagnards libres qui entouraient Albanopolis (Elbassan), et