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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

la tête : « Ceux qui vont nous suivre assisteront à la chute de la monarchie. »

Qui n’aurait cru alors que la dernière heure de l’aristocratie anglaise était venue ? qui n’aurait cru que cet arbre séculaire, ébranlé par les coups de la démocratie, allait tomber avec toutes ses branches en entraînant dans sa chute les institutions qui avaient si long-temps grandi sous son ombre ? Et cependant, dix ans à peine se sont écoulés, et déjà la phalange patricienne a rallié ses forces un moment dispersées ; elle a reconquis une à une toutes les positions qu’elle avait perdues ; elle est sortie avec une vie nouvelle de cette crise qui devait lui servir de tombeau, et nous venons de voir ses représentans, après un exil passager du pouvoir, y être ramenés triomphalement par la voix populaire.

Ce qui a fait le caractère principal de cette réaction, si clairement manifestée par les dernières élections, c’est qu’elle n’a pas été l’œuvre d’un caprice ni un mouvement d’enthousiasme : la majorité conservatrice a grossi lentement comme une mer qui s’enrichit du tribut des fleuves ; elle a grandi avec la régularité majestueuse et la force irrésistible de la marée montante, jusqu’au moment où elle a envahi le siége du pouvoir.

Cette résurrection de la prépondérance aristocratique en Angleterre jette un nouveau jour sur le véritable caractère du bill de réforme. Nous ne voulons point déprécier cet acte célèbre, mais nous croyons que ceux qui l’ont provoqué, comme ceux qui l’ont combattu, se sont également mépris sur la portée réelle du bill, et qu’en voulant y voir presque une révolution démocratique, ils ont oublié la différence profonde qui existe entre des institutions démocratiques et des institutions libérales.

La réforme a été un grand pas vers le progrès, mais en ce sens seulement que la constitution anglaise a marché de l’oligarchie à l’aristocratie. Il y a eu une diffusion plus grande de l’influence politique, mais cette influence n’est pas sortie du sein de la grande propriété. Au moment où le gouvernement de lord Grey entreprit de réformer la représentation nationale, le système des bourgs pourris avait pris un tel développement, que l’indépendance de la couronne, plus encore que celle du corps électoral, était sérieusement menacée par cette concentration des majorités dans un petit nombre de mains.

Ainsi, la majorité de la chambre des communes était nommée par moins de 15,000 électeurs. Plusieurs bourgs qui avaient droit de représentation au parlement, ne possédaient que 12, 10 ou 6 votans