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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/467

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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

en Angleterre. Ils considèrent comme le premier de leurs priviléges celui de se vendre ; aussi ont-ils trouvé une protection constante auprès de l’aristocratie. Ici encore, le bill de réforme a donné une nouvelle impulsion à l’usage de la corruption. À l’aide de l’enregistrement régulier des électeurs, qui n’avait pas lieu avant la réforme, on connaît maintenant le nombre des votans, et on peut préjuger assez exactement quel sera le résultat du vote. Les candidats savent donc à peu près combien de voix ils doivent acheter, et, comme les freemen sont toujours à vendre, il se fait sur eux des enchères et des surenchères où la majorité s’emporte de haute lutte.

Rendons justice aux auteurs du bill de réforme. Ils avaient compris qu’en donnant le droit de représentation à de grandes villes qui ne l’avaient pas, ils le devaient enlever à une classe corrompue qui était indigne de le garder. Mais, sur ce terrain, ils rencontrèrent le parti aristocratique, qui se fit le champion déterminé de ce qu’il appelait les droits du peuple. Les tories se portèrent donc les protecteurs des freemen ; il les défendirent au nom d’une idée toute-puissante en Angleterre, celle de l’inviolabilité du droit, du respect de la propriété et de l’hérédité. « Si une fois vous attaquez l’hérédité, disait sir Charles Wetherell, vous ne savez pas où vous irez. Il y a deux manières de détruire les droits héréditaires : de haut en bas, ou de bas en haut. Jetez les yeux sur un pays voisin (la France), vous y verrez un frappant exemple de la première manière. Ce que vous voulez faire aujourd’hui, en détruisant les droits héréditaires des freemen, n’est autre chose que la manière inverse. Je voudrais bien savoir comment les ministres de la Grande-Bretagne, après qu’ils auront mis en pratique le monstrueux principe de dépouiller les freemen des droits dont ils ont joui pendant des siècles, sauront refuser à leurs alliés libéraux la destruction des autres droits héréditaires qui font partie de la constitution. Lord John Russell et lord Althorp appartiennent à la pairie héréditaire du royaume ; quand ils auront ravi aux corporations leurs droits acquis, qu’auront-ils à répondre à ceux qui voudront faire d’eux le citoyen Russell et le citoyen Althorp ? » Le parti radical, qui ne voulut voir dans la suppression de ces priviléges qu’une restriction du droit de suffrage, se rallia en cette occasion au parti aristocratique, et les droits des freemen furent maintenus.

Ce fut ainsi que cette classe vénale, cette officine de corruption et d’immoralité publique, sortit vivante des mains de la réforme, et que l’équilibre que les auteurs du bill de 1831 avaient voulu établir dans