Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
474
REVUE DES DEUX MONDES.

fâché d’avoir à le dire, qui soit parfaitement sincère. Il y a une raison supérieure que l’on ne veut pas avouer, la seule vraie, la seule sérieuse, et qui fera que long-temps encore la législature anglaise maintiendra la publicité des votes, c’est que le scrutin secret est une institution démocratique, et que l’Angleterre est un pays essentiellement aristocratique.

Des deux moyens d’influence que possèdent les riches sur les pauvres, l’intimidation appartient plus particulièrement au parti aristocratique, comme la corruption au parti libéral. L’intimidation s’exerce principalement parmi les classes agricoles, elle descend du propriétaire au fermier, et a pour domaine les campagnes ; or, c’est dans la terre que la véritable aristocratie prend ses racines. La corruption, au contraire, établit son siége dans les villes, et s’exerce surtout parmi les masses industrielles ; c’est l’arme des hommes enrichis par la spéculation. L’une est l’apanage naturel de la propriété héréditaire et aristocratique, l’autre appartient plus spécialement à la propriété mobile et démocratique.

L’aristocratie n’emploie l’intimidation et la corruption que comme des mesures défensives, car elle a pour elle la possession. Le grand propriétaire exerce un patronage naturel sur ses fermiers ; son influence existe par elle-même, et il ne transforme cette influence en abus de la force que lorsqu’elle est attaquée par une influence étrangère. La corruption a toujours été l’instrument des nouveaux venus, et c’est au parti libéral qu’en appartient l’initiative. On a rappelé que Walpole avait dépensé 250,000 liv. st. (12,500,000 fr.) de fonds secrets dans les élections générales de 1727. Quand on lui reprocha cet abus de pouvoir, il déclara sans scrupule qu’il était nécessaire de combattre l’influence de l’aristocratie par la corruption. Chaque fois que s’élève un homme nouveau, fils de ses œuvres, il trouve sa place au soleil occupée par un possesseur héréditaire, et il n’a d’autre ressource que celle d’opposer à l’influence de la tradition l’influence de l’argent. C’est ainsi que les hommes qui dans tous les pays constituent généralement le parti du mouvement et du progrès, les hommes que nous appellerons, sans attacher à ce mot un sens blessant, les parvenus de la fortune et du talent, deviennent les créateurs et les fauteurs de la corruption.

Or, quel serait l’effet du scrutin secret ? De réprimer l’intimidation sans toucher à la corruption, c’est-à-dire d’enlever à l’aristocratie, à l’aristocratie territoriale surtout, ses moyens de défense, en