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tribuera un jour puissamment à la civilisation des peuples transatlantiques ; mais, en perdant ces colonies, l’Angleterre aurait-elle perdu en même temps son indépendance ? Doit-elle s’incliner à son tour devant les lois de ses anciens sujets, devenir l’huissier et le recors de leurs planteurs ? Quand on a le malheur d’avoir des esclaves, il les faut bien garder, car c’est une étrange pensée aujourd’hui que la prétention de trouver dans le monde entier aide et secours pour ramener l’esclave fugitif dans les fers.

Ici encore, M. Wheaton cite des faits, des arrêts de cours anglaises. Ils ne sont pas applicables à la question pendante. Il s’agissait d’esclaves capturés sur mer par des croiseurs anglais. Je ne répéterai donc pas ce que j’ai déjà dit.

Permettez-moi de terminer par une hypothèse qui résume la question tout entière.

Supposons que les patriotes polonais relégués en Sibérie s’insurgent contre leurs gardiens, qu’ils brisent violemment le joug qui les opprime, et qu’ils soient assez heureux pour atteindre le sol de la France. Voudrions-nous les livrer ? Que dis-je ? oserait-on nous les demander ?

Et cependant, monsieur, qu’a-t-on enlevé aux Polonais ? L’existence politique. Qu’a-t-on enlevé aux nègres ? Tout, même la qualité d’homme : on en a fait des choses.

Réfléchissez, monsieur, et jugez. Vous jugerez, j’en suis certain, comme moi, que l’Angleterre ne doit aux États-Unis ni l’extradition des noirs, ni aucune autre satisfaction pour le fait de la Créole.

Le sentiment le plus honorable, le sentiment patriotique, la susceptibilité que je respecte le plus, la susceptibilité nationale, ont fait illusion à M. Wheaton. Il avait habilement et vaillamment défendu la cause de son pays au sujet du droit de visite. Il a cru devoir lui prêter le secours de son talent, même dans la question toute différente, que dis-je ? tout opposée de la Créole. C’est une erreur ; mais cette erreur n’ôte rien à la haute estime qu’ont méritée à ce savant publiciste son caractère et ses travaux, estime dont, vous le savez, j’ai été heureux de pouvoir lui donner des preuves dans plus d’une occasion.

Agréez, monsieur, etc.,


Rossi.