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oubliés. Il eut des élèves sans nombre qui se répandirent à Paris et dans les villes du midi de la France. Il mourut un des douze anciens de l’Académie, laissant à son pays plus d’un bon peintre et plus d’un bon tableau.

Jacques Vanloo fit des portraits à Paris comme à Amsterdam, mais au moins à Paris il fut payé selon ses œuvres. Il devint à peu près le meilleur portraitiste du temps. Il se fit naturaliser pour punir sa patrie d’avoir si mal payé ou reconnu son talent. En 1663, il fut admis à l’Académie pour son portrait de Jean Corneille. Ce portrait est encore au Louvre, il est d’une touche de maître, d’une belle franchise et d’un bon coloris. Malgré ce titre d’académicien, malgré sa petite fortune qui s’accroissait de jour en jour au bruit aimable des louanges, il n’eut pas une heureuse fin. Sa femme étant venue à mourir, il ne lui resta pas un cœur ami dans ce grand pays qui était le sien désormais. Il ne pouvait pas compter sur son fils, qui menait une mauvaise vie et gaspillait sans fruit le talent qu’il avait reçu du ciel et de son père. Jean Corneille lui-même n’était plus guère son ami ; la jalousie avait jeté la zizanie dans leurs ateliers. Jacques Vanloo, on le croira sans peine, alla jusqu’à regretter la Hollande avec sa brume et son commerce. Ici je me chauffe le front au soleil, disait-il tristement, mais là-bas j’avais de vieux amis qui réchauffaient mon cœur. — On ne se dépayse pas sans laisser au pays natal quelque chose de soi-même qui nous attire par intervalles. Jacques Vanloo avait laissé à l’Écluse et à Amsterdam sa jeunesse, ses premiers rêves, ses premiers regrets, ses premières joies, ses premières souffrances ; quoi encore ? le tombeau de sa mère, où il n’avait pas eu le temps de s’agenouiller dans sa hâte de partir ; ces vieux meubles enfumés qu’il avait vus si long-temps autour de lui : enfin ce coin du feu si doux au cœur qui se souvient, cet âtre béni où le jeune enfant a parlé pour la première fois, où la vieille mère s’est plainte pour la dernière fois, où les époux se sont si souvent embrassés pour secouer leur chagrin. « Croyez-moi, disait Montaigne à un ami quittant la province, si vous voulez ne pas revenir, emportez sur vos épaules votre cheminée et le tombeau de vos ancêtres. »

Le mal du pays, la douleur d’avoir perdu sa femme, le chagrin sans cesse renaissant des erreurs de son fils, altérèrent peu à peu la santé de Jacques Vanloo. Cet homme si fort dans sa jeunesse et dans toutes les luttes qu’il eut à subir s’éteignit à cinquante-six ans, très désabusé de la gloire et de la fortune. L’œuvre de Jacques Vanloo est