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en jetant autour de lui un regard inquiet. Le lendemain, le gentilhomme demeure présent à la séance. La dame regardait le peintre avec une tendresse trop visible.

— Madame, lui dit le gentilhomme avec dépit, il y a bien de la douceur dans ces yeux-là.

— Ne voulez-vous pas, lui répond-elle avec un joli sourire de femme qui rougit, ne voulez-vous pas que je montre au peintre des yeux de tigresse ?

Le surlendemain, la séance fut orageuse. Le mari absent revient à l’improviste et surprend Vanloo à genoux, qui baise la main de sa femme.

— Monsieur Vanloo, vous n’avez que faire de toucher à cette main, elle n’est pas dans le portrait.

— Aussi, répond Vanloo prenant son parti, n’est-ce pas avec mon pinceau que je touche à cette main.

Le gentilhomme, ne pouvant jouer plus long-temps l’insouciance, s’abandonne tout à coup à sa colère ; il s’en prend d’abord au portrait, le déchire d’un coup de pied, s’élance vers sa femme et la saisit aux cheveux ; mais Vanloo, indigné, le saisit lui-même, le repousse loin de sa femme, et lui promet, pour l’apaiser, un bon duel sans merci. Le duel eut lieu le lendemain, au lever du soleil, près du château de Vincennes ; le pauvre gentilhomme ne fit pas longue résistance à Vanloo, qui était surnommé le maître ferrailleur. Il tomba frappé au cœur. Le duel fit du bruit. Louis Vanloo comprit le danger qu’il courait, il s’exila de ce pays où son père était venu se faire naturaliser.

Parti de Paris sans savoir où aller, sous l’habit d’un pauvre peintre d’enseignes, il se dirigea à petites journées vers l’Italie, peignant çà et là des enseignes de cabaret pour avoir un gîte de passage plus assuré. Il côtoya la Savoie et fit une halte à Nice, où il reprit ses allures fringantes. Il y trouva une grande dame dont il avait fait le portrait à Paris. Elle le produisit chez tous les personnages de la ville ; il y fit quelques portraits et un tableau d’église. Dès qu’il se sentit hors de France, il regretta cette nouvelle patrie ; l’exil lui devint si dur, qu’il rentra en France au risque d’être découvert. Il partit pour Aix, où il avait un compagnon d’aventures. Cet ami s’étant rangé sous la bannière du mariage, Vanloo le trouva si heureux avec sa jeune épouse et ses petits enfans, qu’il lui demanda sans façon de lui chercher une femme. Il y a toujours des filles à marier, dans quelque pays qu’on les cherche ou qu’on les fuie.