Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
LES FEMMES POÈTES.

blanches, le jupon court, le corsage saillant et le bouquet de giroflées planté au milieu du sein ? Il n’est pas une stance du Divan qui ne nous montre Goethe étendu, comme un monarque indolent et superbe de l’Asie, sur quelque couche verdoyante où la nature lui prodigue ses enchantemens. Il n’est pas un vers de Byron qui ne rappelle le mors blanc d’écume et la crinière flottante de son coursier. Eh bien quand on a sous les yeux des odes, des élégies ou des poèmes écrits par des femmes, il ne vient aucune pensée, il ne se présente aucun tableau qui ne blesse le cœur ou ne répugne à l’imagination.

Comment, en effet, concilier l’idée que nous avons de l’existence du poète avec celle qu’on doit se faire de la vie des femmes, d’après les données de la nature et les notions du sens commun ? Nous ne croyons plus aux amazones. Malgré les lignes éloquentes que leur a consacrées Plutarque, leur souvenir à moitié perdu dans les nuages de la fable n’éveille que le sourire de l’ironie. Et cependant, je le déclare, une femme qui porte le casque en tête et l’épée au côté, qui éperonne un cheval, assène des coups, fait des blessures et rêve la parure d’une cicatrice à son front, une femme qui entreprend une lutte violente contre tous les instincts de son corps, me paraît un être moins chimérique et moins monstrueux qu’une femme qui interroge toutes les profondeurs de l’ame, sonde la douleur, pénètre les tristesses, descend aux sources des vices, se résout enfin à connaître tous les mystères, tantôt cruels pour l’esprit, tantôt offensans pour la pudeur, que le poète est obligé de soulever. Mais j’admets qu’une femme naisse avec le singulier courage dont l’intelligence a besoin pour suivre une vocation poétique ; ce courage lui suffira-t-il ? Pourra-t-elle se livrer à ses impulsions dans les conditions au milieu desquelles elle est placée ? Je ne le crois pas. Si Descartes pensait que le philosophe, dont l’empire régit des êtres abstraits au milieu de régions invisibles, doit rechercher les spectacles de la terre et le mouvement des choses humaines, de quelle impérieuse nécessité doivent être, pour le poète qui s’étudie à reproduire les doubles merveilles de deux mondes, les excursions à travers les villes et les déserts, l’examen attentif des travaux de l’homme, et la contemplation enthousiaste des œuvres de Dieu !

Che seggendo in piuma
In fama non sivien ne sotto coltre

disait le Michel-Ange de la poésie, l’intrépide gibelin de Florence.