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DES DERNIERS TRAVAUX SUR PASCAL.

la postérité, offre, dans trois des hommes qui ont fait le plus pour la gloire de la France, un exemple éclatant des caprices et des retours de l’opinion. Fermat, Descartes et Pascal, illustres rivaux qui assurèrent de leur temps la supériorité d’un pays où vivaient en même temps Corneille, Racine et Molière, ont donné lieu, d’âge en âge, à des appréciations différentes. Fermat, génie sublime qui en plusieurs rencontres eut l’avantage sur Descartes, et qui, dans une science continuellement progressive, a le mérite unique d’avoir devancé son siècle, et deviné des choses auxquelles les efforts des plus grands géomètres n’ont jamais pu atteindre depuis, cultivait avec modestie, on dirait presque avec indifférence, ces mathématiques dans lesquelles il était si supérieur. Aux dédains affectés de Descartes, qui semblait vouloir se venger par un mépris apparent des succès de son redoutable antagoniste, Fermat répondait avec la plus rare simplicité. : « Je proteste que M. Descartes ne sçauroit m’estimer si peu que je ne m’estime encore moins. » Ce grand géomètre était si dénué d’amour-propre, que non-seulement il ne publia jamais ses admirables inventions, mais qu’il négligeait même de garder copie des démonstrations dont il faisait part à ses amis. Il n’était fier de sa supériorité que lorsqu’il pouvait la faire sentir aux Anglais. Aussi ne les ménageait-il pas dans les défis scientifiques qu’il leur proposait sans cesse, et dans lesquels il était presque toujours victorieux.

Fermat était conseiller au parlement de Toulouse, et à tous ceux qui le pressaient de rédiger et de publier ses recherches, il se bornait à répondre que les obligations de sa charge l’en empêchaient. Ce n’est pas sans une profonde émotion que nous avons découvert récemment dans les archives de l’ancien parlement de Toulouse une foule de rapports écrits ou signés par cet homme éminent, qui préféra toujours le devoir à la réputation. Géomètre et érudit du premier ordre, Fermat, dans un siècle où les grands modèles abondaient, était aussi considéré comme un poète des plus élégans, et il faisait des vers latins, français et espagnols qui charmaient les oreilles les plus délicates. Une excessive modestie nuisit d’abord à cet homme qui semblait destiné à tous les genres de succès. Après sa mort, son fils chercha vainement un mathématicien qui voulût se charger de diriger la publication de ses admirables conceptions. Tout le monde s’excusa : en attendant, les papiers que Fermat avait confiés à divers savans furent dispersés, et lorsqu’enfin Samuel Fermat se décida à publier seul les manuscrits de son père, il ne put en