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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/564

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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous ne suivrons pas M. Cousin dans l’examen qu’il fait des fragmens qui, selon lui, doivent seuls entrer dans le livre des Pensées. Il est à craindre qu’en posant en principe que les Pensées de Pascal ne doivent se composer que de morceaux relatifs à la religion, M. Cousin n’ait été entraîné par des vues systématiques. Dans la préface de la première édition des Pensées, il est dit que Pascal avait traité les sujets les plus variés à propos de la religion, et, dans le manuscrit original des Pensées, on voit une foule de remarques qui ne semblent pas se rapporter immédiatement à la religion. Ce ne sont pas des ana, ce sont des réflexions relatives aux langues, aux Espagnols, à César, à tous les sujets. Ce sont là les véritables pensées de Pascal, qu’on ne saurait renfermer dans un cadre plus restreint qu’il ne l’a voulu lui-même.

Le choix trop rigoureux qu’on pourrait chercher à faire des Pensées de Pascal nous conduit naturellement à discuter un autre point sur lequel il nous est absolument impossible de nous trouver d’accord avec M. Cousin. Dans le Mémoire sur la vie de Pascal, inséré dans le Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal, on lit le nom de différentes personnes qui se chargèrent de mettre en ordre et de publier les Pensées[1]. M. Cousin accuse spécialement le duc de Roannès et Arnauld[2], et en général Port-Royal, d’avoir changé ainsi et défiguré en mille endroits le texte original de Pascal. Heureusement des documens authentiques prouvent que ce ne furent pas les hommes les plus illustres de Port-Royal qui portèrent ainsi la main sur le manuscrit des Pensées ; les jansénistes ne donnèrent pas à la vérité toutes les Pensées, et ils dirent la raison de ce choix dans la préface. Ils crurent impossible de publier des fragmens dont plusieurs étaient inintelligibles, tels, par exemple, que celui-ci, qu’on trouve encore dans le manuscrit original : Il a quatre laquais, et d’autres semblables, qui ne devaient servir évidemment qu’à rappeler à Pascal, par un mot, un ordre entier d’idées. Peut-être leur choix fut-il trop restreint ; mais, s’ils rejetèrent trop de choses, on ne saurait les accuser d’avoir altéré volontairement ces précieux débris. Ce fut la censure, ce furent les approbateurs (nom qu’on donnait alors aux censeurs), et surtout l’abbé Le Camus, qui bouleversèrent à plaisir le texte de Pascal, comme d’autres censeurs

  1. Le duc de Roannès eut le plus de part à ce travail, et il fut aidé par MM. Arnauld, Nicole, de Treville, du Bois, de La Chaise et Périer l’aîné. (Recueil, p. 354.)
  2. Journal des Savans, avril 1842, p. 250, etc.