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HISTOIRE DU DIABLE.

partent pour l’enfer. Quand la cloche de la paroisse a tinté l’agonie, les démons se rassemblent dans l’abîme aux appels de la trompe infernale, et ils arrivent par essaims auprès du moribond. Ils lui rappellent ses fautes et lui parlent des supplices éternels, espérant ainsi, par le désespoir, avancer l’heure fatale et prévenir la pénitence ; mais les anges, qui n’abandonnent jamais les pécheurs, arrivent à leur tour, et, se plaçant en face des démons, ils consolent le mourant par le souvenir de ses bonnes œuvres. On les retrouve encore, ces fantômes redoutables, auprès du cercueil des morts. Voici ce qui est arrivé en Saxe, au XIIe siècle. Le corps d’un usurier qui s’était réconcilié avec Dieu par la confession avait été exposé dans la chapelle d’un couvent. Les cierges que l’église allume dans les cérémonies funèbres pour écarter, par la lumière, les esprits de ténèbres[1], brûlaient auprès du trépassé, et quatre moines priaient pour son ame. Tout à coup quatre diables noirs et quatre anges lumineux vinrent se ranger à droite et à gauche du cercueil. Les diables, après avoir récité chacun un verset des psaumes, s’écrièrent en même temps : « Si Dieu est juste, si sa parole est la parole de vérité, cet homme doit nous appartenir. » Les anges répétèrent à leur tour quatre versets, et s’écrièrent à la fois : « Silence, esprits impurs ! vous invoquez contre cette ame les paroles qui punissent, nous invoquons pour elle les paroles qui consolent. Ce mort a bu à la coupe du pardon, il s’est enivré des larmes du repentir, et il verra la lumière éternelle. » À ces mots, l’ame joyeuse s’envola vers le paradis.

Le diable, du reste, n’attend pas toujours, pour punir, que la fièvre ou la vieillesse emporte l’homme dans l’autre monde, et, pour jouir plus tôt de l’ame des méchans, qu’il regarde comme sa propriété, il la délie souvent lui-même des liens de sa prison charnelle. On l’a vu, dès les premiers siècles de l’église, à Constantinople, saisir le philosophe Buddas, qui priait, suivant la coutume orientale, sur la plate-forme de sa maison, et le précipiter dans la rue, en lui reprochant d’avoir propagé les erreurs de Manès[2]. C’était là de sa part une noire ingratitude, car Manès avait tenté de rendre à sa puissance déchue le sceptre de la création.

Bien des siècles après Buddas, on le vit encore défendre par le meurtre les prescriptions des casuistes et des prédicateurs : le 27 mai 1562, vers les sept heures du soir, il étrangla, dans la ville d’Anvers, une jeune fille de bonne maison, parce qu’elle avait acheté, pour aller à une noce, une fraise de toile fine de neuf écus l’aune[3]. L’église eut à le remercier plusieurs fois encore de services plus importans et plus positifs : il aiguisa souvent ses griffes pour châtier les paroissiens qui n’acquittaient point les dîmes, les seigneurs qui oubliaient les monastères dans leurs testamens, les rois qui refusaient d’humilier la couronne devant la tonsure. Mais, en travaillant ainsi à augmenter

  1. Agrippa, De occulta philosophia, lib. I, cap. III.
  2. Beausobre, Hist. du Manichéisme, t. I, p. 59.
  3. Lengtest Dufrenoy, Dissert. sur les Apparitions, t. I, IIe partie, p. 30 et suiv.