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HISTOIRE DU DIABLE.

dans l’enfer ; seulement, par une étrange aberration, la sottise féodale s’est emparée de cette croyance pour ennoblir ses blasons, et la famille des Jagellons, qui se vantait de descendre des fées, qui sont elles-mêmes les collatérales du diable, en portait les emblèmes sur ses armes.

Ainsi toujours le mal, toujours la haine, même dans l’amour. Encore n’est-ce point assez pour le pervers que ce contact passager qui l’unit, incube ou succube, aux enfans de cette triste famille d’Adam, qui souffrent de tant de douleurs et s’effraient de tant de choses. Non content de les affliger de ses caresses, de les obséder dans une lutte corps à corps, il pénètre en eux, se fond dans leur être, et substitue en quelque sorte son action, sa volonté, à l’action, à la volonté de l’ame. La réalité des possessions est attestée, on le sait, par l’Écriture, par le Christ lui-même, qui délivra au pays des Géraséniens un possédé qui avait en lui une légion de diables. Il semble qu’on puisse en croire l’église sans forfaire à la raison, lorsque, s’appuyant sur la doctrine de l’épreuve et de l’expiation qui donne le mot de tout le mystère humain, elle enseigne que Dieu permet au diable de posséder l’homme pour le punir quand il est pécheur, pour l’éprouver quand il est saint, et consumer par la souffrance l’écume de son cœur[1]. Mais quand la sorcellerie raconte que Satan, sur l’ordre d’un bohémien, d’un berger ou d’une vieille femme, quitte les profondeurs de l’abîme pour se loger dans le corps d’une pauvre et innocente jeune fille ou d’un bourgeois paisible qui n’a jamais rien eu à démêler avec l’enfer, alors le scepticisme est légitime, et l’on se souvient de ce que disait, en 1598, le docteur Marescot, qui était un médecin de bon sens, à propos de Marthe Brossier, la possédée de Romorantin dont s’est moqué Voltaire : A natura multa, plura ficta. Il est si facile, en effet, d’expliquer par des causes naturelles la présence du diable dans le corps des femmes !

Comment s’opère cette redoutable union ? Suivant l’historien juif Josèphe, par la transfusion de l’ame des morts condamnés aux supplices éternels dans la substance des vivans[2] ; suivant une opinion plus générale et plus accréditée, par la transfusion du diable lui-même, soit qu’il reste invisible en pénétrant dans le corps, soit qu’il s’y introduise sous la forme d’une mouche, d’un insecte ou de tout autre animal. Cette superfétation d’un second principe actif dans un même être porte au fond même de l’organisme une effrayante perturbation, et, depuis les premiers jours du christianisme jusqu’aux dernières années du XVIIe siècle, les symptômes de cette affliction surhumaine sont partout les mêmes. Les possédés, comme les lycantropes des Grecs, se détournent de la société des hommes pour s’exiler dans les cimetières et jusqu’au fond même des tombeaux : ils pleurent et gémissent sans avoir un sujet de douleur. Leur figure a la couleur du cèdre, cedrinus color ; leurs membres sont raides et appesantis, leurs yeux enflés sortent de

  1. Cassien, Conférences, lib. VII, chap. XV.
  2. Josephi, Ant. jud., lib. VII, cap. xxv.