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LE CIRQUE ET LE THÉÂTRE.

nous rendre à Cordoue, nous ne pûmes résister à cette tentation, et nous résolûmes de pousser une pointe sur Malaga, malgré la difficulté de la route et le peu de temps qui nous restait pour la faire.

Il n’y a pas de diligence de Grenade à Malaga ; les seuls moyens de transport sont les galeras[1] ou les mules : nous choisîmes les mules comme plus sûres et plus promptes, car nous devions prendre les chemins de traverse dans les Alpujaras, afin d’arriver le matin même de la course.

Nos amis de Grenade nous indiquèrent un cosario (conducteur de convois) nommé Lanza, gaillard de belle mine, fort honnête homme et très intime avec les bandits. Cela semblerait en France une médiocre recommandation, mais il n’en est pas de même au-delà des monts. Les muletiers et les conducteurs de galeras connaissent les voleurs, passent des marchés avec eux, et moyennant une redevance de tant par tête de voyageur ou par convoi, selon les conditions, ils obtiennent le passage libre, et ne sont pas arrêtés. Ces arrangemens sont tenus de part et d’autre avec une scrupuleuse probité, si un tel mot n’est pas trop dépaysé dans de pareilles transactions. Quand le chef de la troupe qui tient le chemin se retire à indulto[2], ou pour un motif quelconque cède à un autre son fonds et sa clientelle, il a soin de présenter officiellement à son successeur les cosarios qui lui paient la contribution noire, afin qu’ils ne soient pas molestés par mégarde ; de cette façon, les voyageurs sont sûrs de n’être pas dépouillés, et les voleurs évitent les risques d’une attaque et d’une lutte souvent périlleuse. Tout le monde y trouve son compte.

Une nuit, entre Alhama et Velez, notre cosario s’était assoupi sur le cou de sa mule, en queue de la file, quand tout à coup des cris aigus le réveillent ; il voit briller des trabucos sur le bord de la route. Plus de doute, le convoi était attaqué. Surpris au dernier point, il se jette à bas de sa monture, relève de la main les gueules des tromblons, et se nomme. — Ah ! pardon, señor Lanza, disent les brigands, tout confus de leur méprise, nous ne vous avions pas reconnu ; nous sommes des gens honnêtes, incapables d’une pareille indélicatesse, nous avons trop d’honneur pour vous prendre seulement un cigarre.

Si l’on n’est pas avec un homme connu sur la route, il faut traîner

  1. Charettes fort dures.
  2. Être reçu à indulto se dit d’un brigand qui fait sa soumission volontairement et que l’on amnistie.