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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/62

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REVUE DES DEUX MONDES.

Philis, dont le berger Daphné se retrace les douces vertus et la tendre pudeur, tout en promenant ses yeux de son foyer, où pétille un feu clair, à sa fenêtre, qui laisse voir les champs blanchis par la neige ; Philis m’a plutôt l’air d’être la fille de quelque pasteur protestant aux yeux couleur de violette, comme dit Heine, à la démarche timide et à la robe montante, qu’une bergère de la Grèce ou de la Sicile, aux yeux ardens et noirs, à l’allure impétueuse et au sein demi-nu. Les pommiers jouent un plus grand rôle que les orangers dans les paysages du poète allemand, et je crois bien plutôt voir à l’horizon quelque église du culte réformé, avec le presbytère d’un côté et le cimetière de l’autre, qu’un temple de Vénus ou de Cybèle. Gessner imita Théocrite comme Amyot traduisit Longus, il fut original à son insu. Dans le plus charmant de ses poèmes, le Souhait, il rend un hommage touchant à Klopstock, celui qui fut en Allemagne ce que Châteaubriand fut en France, le père d’une jeune poésie. À une époque où la littérature d’outre-Rhin se ressentait de l’admiration de Frédéric pour Voltaire, il comprit que les vieux chênes de la Germanie ne devaient pas être taillés à la façon des ifs de Versailles. Il était digne de partager l’admiration mêlée d’enthousiasme que fit éprouver à ses compatriotes, quelques années après ses idylles, une églogue aussi touchante que Paul et Virginie, le Vicaire de Wakefield, le chef-d’œuvre d’Olivier Goldsmith. Gessner ne doit donc pas être oublié quand on parle de poésie pastorale. Il est le créateur d’un genre qu’il serait difficile de saisir en l’imitant lui-même, mais qu’on retrouverait en imitant la nature.

Quant à André Chénier, je viens de relire l’Oarystis et Lydé, c’est là qu’il faut chercher tous les trésors que cache sous sa ceinture la Vénus antique ; tantôt sa voix fait pénétrer dans nos sens la voluptueuse fraîcheur des bois sacrés, tantôt elle y verse la molle ivresse des nymphes et les pétulantes ardeurs des satyres. Des bergers plus impétueux que les béliers qu’ils gardent, des bergères chez qui la pudeur n’est qu’un voile attrayant jeté pour un instant à peine entre le désir et la jouissance, un éclat rayonnant de verdure, une réjouissante odeur de troupeaux, enfin une divine musique de baisers et de soupirs, voilà ce que nous offrent les immortelles églogues qu’il nous a léguées. Et ce sentiment de la nature, qu’elles expriment avec tant de bonheur, n’est pas le seul qu’on y trouve : je ne sais si le sentiment de l’art ne s’y révèle pas encore avec plus de puissance. Une des plus admirables fables de l’antiquité, qui nous a donné tant d’admirables fables, c’est celle de Pygmalion et de sa Galatée.