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LE CIRQUE ET LE THÉÂTRE.

Garcès de Marsilla, qu’elle fait apporter dans le harem endormi par un narcotique, la vengeance de cette même sultane lorsqu’elle se voit méprisée, les lettres coupables de la mère d’Isabel trouvées par Rodrigue d’Azagra, qui s’en fait un moyen pour épouser la fille et menace de les montrer au mari trompé, sont des ressorts un peu forcés, mais qui amènent des scènes touchantes et dramatiques. La pièce est écrite en prose et en vers. Autant qu’un étranger peut juger du style d’une langue qu’il ne sait jamais dans toutes ses finesses, les vers d’Hartzembusch m’ont paru supérieurs à sa prose. Ils sont libres, francs, animés, variés de coupe, assez sobres de ces amplifications poétiques auxquelles la facilité de leur prosodie entraîne trop souvent les méridionaux. Son dialogue en prose semble imité des drames modernes français et pèche par la lourdeur et l’emphase. Les Amans de Teruel, avec tous leurs défauts, sont une œuvre littéraire et bien supérieure à ces traductions arrangées ou dérangées de nos pièces du boulevard qui inondent aujourd’hui les théâtres de la Péninsule. On y sent l’étude des anciennes romances, et des maîtres de la scène espagnole, et il serait à désirer que les jeunes poètes d’au-delà des monts entrassent dans cette voie plutôt que de perdre leur temps à mettre d’affreux mélodrames en castillan plus ou moins légitime.

Un saynète assez comique suivait la pièce sérieuse. Il s’agissait d’un vieux garçon qui prenait une jolie servante, « pour tout faire » comme diraient les Petites Affiches parisiennes. La drôlesse amenait d’abord, à titre de frère, un grand diable de Valencien haut de six pieds, avec des favoris énormes, une navaja démesurée, et pourvu d’une faim insatiable et d’une soif inextinguible ; puis un cousin non moins farouche, extrêmement hérissé de tromblons, de pistolets et autres armes destructives, lequel cousin était suivi d’un oncle contrebandier porteur d’un arsenal complet et d’une mine équivalente, le tout à la grande terreur du pauvre vieux, déjà repentant de ses velléités égrillardes. Ces variétés de sacripans étaient rendues par les acteurs avec une vérité et une verve admirables. À la fin survenait un neveu militaire et sage qui délivrait son coquin d’oncle de cette bande de brigands installés chez lui, qui caressaient sa servante tout en buvant son vin, fumaient ses cigarres et mettaient sa maison au pillage. L’oncle promettait de ne se faire servir dorénavant que par de vieux domestiques mâles. Les saynètes ressemblent à nos vaudevilles, mais l’intrigue en est