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Les dernières poésies de Mme Desbordes-Valmore ne rappellent plus ni ses idylles ni ses élégies. Nous avons sous les yeux un livre appelé les Pleurs, qui est éclos, on le sent dès les premières pages, dans une nouvelle atmosphère. M. de Lamartine est venu ; Éléonore a été détrônée par Elvire. Certes, il faut admirer Elvire ; c’est une sœur de Béatrix et de Laure ; malheureusement ses formes ne sont pas assez distinctes de celles des nuages au sein desquels son amant la regarde planer. J’avais moins de peine à me représenter Éléonore, dont

Le sein doucement agité
Repousse la gaze légère
Qu’arrangea la main d’une mère,
Et que la main du tendre amour,
Moins discrète et plus familière,
Saura déranger à son tour.

Mais enfin Éléonore n’est plus ; son sourire s’est effacé du cœur de tous les poètes. Une révolution s’est accomplie. Le livre de Mme Desbordes-Valmore, comme tous ces livres de poésie secondaire qui réfléchissent tour à tour les idées dominantes des époques où ils paraissent, sert à la constater. J’ouvre les Pleurs, et j’y trouve une pièce intitulée les Ailes d’Ange :

L’air pur a fait frémir vos ailes,
Bel ange, et vous vous envolez.

Cette citation doit suffire à faire juger de l’esprit de tout le recueil. Maigres et allongés, les amours de Parny sont devenus des archanges. Jadis les souvenirs de volupté faisaient seuls couler les larmes de Mme Desbordes-Valmore, les espérances d’amour étaient les seules qu’elle vît voltiger autour d’elle ; maintenant, dans une pièce de vers intitulée le Pardon, elle s’écrie :

Dieu n’a pas dit : Brisez son fragile courage ;
Dieu fit le roseau faible et l’air est son appui.
L’espérance, c’est Dieu, même au sein de l’orage ;
Je suis roseau, je tremble et je cherche après lui.

Il n’y a ni beaucoup de correction ni beaucoup de clarté dans cette strophe. Si je l’ai citée, c’est parce qu’elle achève de montrer, avec les Ailes d’Ange, quelle influence a exercée M. de Lamartine sur une ame qui n’aurait aspiré jadis qu’à renfermer un écho affaibli des accens de Tibulle. Les poètes ne sont pas condamnés à rester dans