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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/716

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REVUE DES DEUX MONDES.

put bientôt, à la suite du dogme, s’emparer de ces domaines inoccupés de la mort, et les montrer comme la future patrie à ceux qui s’oubliaient dans la vie présente. L’enfer était irréfragablement annoncé dans les livres saints ; mais ce n’est pas en prêchant la damnation, c’est en prêchant le salut que le christianisme put conquérir le monde. On montre le ciel aux néophytes, on montre les profondeurs de l’abîme aux croyans infidèles. Eh ! qui songeait aux peines éternelles, parmi ces sublimes martyrs du premier âge ? Lisez leur histoire, ils n’ont que des bénédictions pour les bourreaux, et plusieurs leur désignent du doigt même ces célestes parvis où ils voudraient les entraîner avec eux. C’est la poésie en action. Il ne faut donc pas s’attendre à rencontrer alors des poètes qui chantent les terribles merveilles de l’autre monde. Seulement, quelques rares assertions viennent çà et là prêter une forme déterminée à ces mystères de l’avenir. Ainsi, au second siècle, saint Justin nomme certains esprits qui cherchent à s’emparer de l’ame des justes aussitôt après la mort, et Tertullien, qui parle quelque part de monts ensoufrés qui sont les cheminées de l’enfer, inferni fumariola, croit qu’il y a dans l’autre vie une prison d’où l’on ne sort point que l’on n’ait payé jusqu’à la dernière obole. C’est aussi un spectacle assez fréquent dans cette histoire primitive, que de voir les martyrs, des évêques surtout, entourés de leurs diacres, échapper tout à coup aux mains des persécuteurs, aux flammes des bûchers, et s’élever radieux jusqu’au ciel, devant la foule étonnée.

Ainsi, dans le petit nombre de très courtes et très simples visions qui nous sont venues des siècles apostoliques, c’est surtout l’idée d’indulgence qui me paraît dominer. Une des premières et des plus curieuses que je rencontre a rapport à saint Carpe. Un jour, à ce que raconte Denis l’Aréopagite, en sa huitième épître, ce saint fut transporté en esprit dans un vaste édifice dont le sommet entr’ouvert laissait voir au ciel le Christ entouré de ses anges. Au milieu de la maison, on découvrait, à la lueur d’un bûcher, un gouffre sur la marge duquel se retenaient quelques païens qui avaient résisté aux prédications de saint Carpe ; des serpens et des hommes armés de fouets les poussaient dans l’abîme. Carpe alors se prit à les maudire ; mais, en reportant les yeux vers le ciel, il vit Jésus tout attendri qui tendait à ces pauvres pécheurs une main compatissante, disant : « Frappe-moi, Carpe, je suis encore prêt à souffrir, et de tout cœur, pour le salut des hommes. » Et l’apôtre se réveilla. — Dieu plus indulgent que les hommes sur les châtimens dus à l’humanité coupable, le juge moins sévère que l’accusé ! voilà bien les merveilles des premiers temps du christianisme.

Ce caractère de naïveté charmante se retrouve également en deux autres visions qu’a enregistrées saint Augustin dans son traité de l’Origine de l’Ame. La première est celle de saint Sature, mort en 202. Quatre anges l’enlevèrent tout à coup, sans le toucher, jusqu’aux lumineux jardins du ciel. Là s’élevait le trône du Tout-Puissant, autour duquel les légions sacrées faisaient incessamment retentir ces mots : « Saint, saint, saint ! » Le Seigneur baisa le nouveau venu au front, et lui passa la main sur la face, après quoi Sature sortit