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RICHARD.

le jeune Beaumeillant. À ce nom, M. de Kervégan embrassa Richard avec une brusque tendresse qui tenait à la fois du soldat et du gentilhomme. — Si vous avez le cœur de votre père, lui dit-il, vous serez Richard-Cœur-de-Lion. Bientôt l’entretien devint général ; chacun apporta son offrande à la mémoire du guerrier breton. Il y eut plus d’une révélation glorieuse, et le comte de Beaumeillant fut vengé, en ce jour, de l’oubli qui avait rongé, comme une rouille, la dernière moitié de son existence. À la fois surpris et charmé, Richard écoutait, honteux en même temps d’avoir jusqu’à présent ignoré cette gloire ; lui cependant dont la tête, l’esprit et le cœur n’étaient remplis que d’une seule image et d’une pensée unique, il ne tarda pas à remarquer que le nom de sa mère était, pour ainsi dire, exilé de la conversation, et qu’on semblait même éviter toute allusion à son souvenir. Nous l’avons dit, ce jeune homme ne savait rien du monde ; il ignorait de quelle réprobation la société frappe certaines fautes, combien elle est impitoyable à tout ce qui vit en dehors de sa loi. Il n’avait jamais vu dans sa mère qu’une tendre victime, digne de la pitié de tous, et ne supposait pas, d’ailleurs, que le monde fût dans le secret de ses égaremens. Il essaya donc plus d’une fois de mêler à l’entretien le nom de Mme de Beaumeillant ; mais, chaque fois qu’il le tenta, ce nom n’éveilla point d’écho et tomba silencieusement sans être relevé par personne. Richard se sentit pris d’un sourd malaise, d’une vague inquiétude qu’il subit d’abord sans chercher à s’en rendre compte ; seulement, plus il entendait exalter le père, plus il éprouvait le besoin de venger sa mère de l’indifférence qui pesait sur elle. Il y avait en lui deux orgueils, l’un qui triomphait, l’autre qui souffrait, d’autant plus vulnérable, celui-ci, qu’il réunissait toutes les susceptibilités de l’amour et de la tendresse. Il arriva que M. de Kervégan, qui, voyant Richard vêtu de noir des pieds à la tête, avait pensé que ce jeune homme portait le deuil de son père, l’interrogea sur la perte qu’il croyait récente, car les amis du comte de Beaumeillant avaient long-temps ignoré sa mort, et M. de Kervégan venait d’en recevoir la première nouvelle.

— Mon père est mort depuis cinq ans, répondit Richard ; le deuil que je porte, ajouta-t-il avec un fier sentiment de douleur, je le porterai durant ma vie entière, c’est le deuil de ma mère, comtesse de Beaumeillant.

Il tomba sur ces mots un silence de glace.

— Monsieur, dit enfin la marquise en s’adressant à Richard, Dieu devait à votre noble père la consolation de partir d’ici-bas sans avoir