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HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ.

inculquer. On a beau faire, nous n’aimons en France à sortir de l’horizon hellénique et de ses lignes distinctes qu’à bon escient. M. Letronne demeure encore en ces matières notre admirable érudit et notre critique défensif par excellence. Je me figure (car j’ai besoin d’une explication) que, pendant ces années de laborieuse absence où l’auteur préparait son important travail, il nous aura crus plus atteints que nous ne l’étions en effet de cette fièvre du symbolisme historique. Les premières pages ne sont autre chose qu’un sacrifice qu’en homme d’esprit il a cru devoir faire, un peu malgré lui, au goût du temps. Eh bien ! ce goût n’avait pas de racines profondes et ne méritait pas qu’on en tint compte :

Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus !

Ajoutez que, dans des considérations générales prises de si haut, l’auteur est nécessairement forcé de courir, et que c’est là, pour le lecteur, une préparation plutôt pénible aux discussions intéressantes, mais sérieuses, qui vont le réclamer tout entier.

L’ensemble de l’ouvrage est conçu et construit dans une pensée d’art ; il se compose de dix livres dont chacun embrasse un objet déterminé, et roule autour d’un sujet habilement choisi, contrasté, balancé, dans lequel l’auteur tente et rencontre souvent des nouveautés très-piquantes et bien des insinuations lumineuses. Comme le sujet général, qui est l’idée de royauté, ne prête pas à un récit continu, il devient quelquefois un prétexte ; l’auteur en profite pour se porter aux plus hautes questions historiques qui se lèvent à droite ou à gauche autour de lui : il met le siége devant tous les grands clochers. Le choix de quelques-uns des sujets secondaires qu’il traverse, et qu’il enserre dans le principal, pouvant sembler arbitraire, c’est avoir fait preuve déjà de beaucoup d’esprit que d’avoir su les grouper de la sorte et les établir. Depuis Auguste jusqu’à Hugues Capet ou à Grégoire VII, le champ était vaste ; la ligne qui les joint est sinueuse et prolongée. Elle traverse et côtoie le domaine de bien des érudits et des historiens ; elle passe dans la jachère de l’un, par la ferme de l’autre, sous le château-fort de celui-ci, et heurte le mur mitoyen de celui-là. Autrefois on traversait difficilement tant de pays avec si forte marchandise, sans payer rançon ; aujourd’hui il y a encore les douanes. Je voudrais bien entendre chaque érudit discuter à fond, ou mieux tirer de son poste à bout portant sur chacun des points du livre qui tombent sous sa portée. Le spirituel auteur les a quelque peu bravés, ce me semble, en passant si hardiment sous leur canon ; il a