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LE CANADA.

gouvernement anglais se proposait comme but général de faire entrer les Canadiens français dans l’unité de la nationalité britannique ; mais c’était une œuvre difficile, et il était permis d’hésiter sur le choix des moyens qui devaient en préparer l’accomplissement. En effet, par les lois civiles et criminelles, par la religion, par les mœurs, par la langue, en un mot par tout ce qui constitue une nationalité, le Canada différait absolument de sa nouvelle métropole. C’était surtout dans les lois qui réglaient la constitution et la transmission de la propriété, lois radicalement opposées à celles de l’Angleterre, que l’obstacle paraissait insurmontable.

Lorsque les Français s’établirent d’une manière définitive dans le Canada, des concessions considérables de terres furent faites, au nom du roi, seul propriétaire du sol, aux officiers civils et militaires qui avaient pris part aux travaux de l’établissement. Les concessions, qui avaient communément de deux à six lieues carrées de superficie, étaient accordées dans les termes de la législation féodale qui régissait alors la France, à titre de francs-aleux, de fiefs, de seigneuries. Ces propriétaires, à leur tour, les distribuaient aux soldats vétérans ou aux autres colons pour une redevance perpétuelle. Il y eut ainsi dès l’origine, dans le Canada, deux sortes de propriétés, deux classes de propriétaires : il y eut la propriété noble, seigneuriale, et la propriété tenue en roture ; il y eut la classe des seigneurs, et celle des tenanciers, des censitaires. Telle est encore aujourd’hui la constitution de la propriété dans le Bas-Canada. La seigneurie reconnaît la suzeraineté du roi, duquel seul elle relève, par un droit auquel elle est soumise lorsqu’elle est transférée par donation ou par vente : c’est le droit du quint, qui représente la cinquième partie de la valeur de l’immeuble transféré ; il est à la charge du cessionnaire, qui jouit d’une remise ou rabat d’un tiers lorsqu’il l’acquitte immédiatement. Quand il passe aux mains d’un héritier collatéral, le fief est également soumis à un droit, celui de relief, c’est-à-dire que le propriétaire doit payer à l’état la valeur d’une année de son revenu. Les fermiers, nommés tenanciers ou censitaires, qui tiennent en roture les terres du seigneur, sont liés envers leur seigneur par des obligations particulières. Ils lui doivent le paiement d’une rente de un à deux sous par arpent, ou des redevances en nature à peu près de même valeur, et ils sont tenus de faire moudre leur blé au moulin du seigneur ou moulin banal, où ils laissent un quatorzième pour droit de mouture. Lorsqu’il vend un immeuble, le roturier canadien paie encore un droit connu dans notre ancienne législation sous