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c’est le même goût pour la force matérielle. Les donatistes ont, comme tous les partis, leurs modérés et leurs zélés : les modérés, qui s’appellent surtout les donatistes ; les zélés, qui sont les circoncellions. Les donatistes sont les docteurs et les diplomates du parti ; ils désavouent l’usage de la violence ; ils font des requêtes aux empereurs, ils inventent d’habiles chicanes pour échapper aux arrêts rendus contre leur schisme ; ils écrivent contre les docteurs catholiques ; ils les calomnient et les insultent. Ils ne sont du reste ni moins obstinés ni moins ardens que les circoncellions. Ils se déclarent les seuls saints, les seuls purs, les seuls catholiques. Les circoncellions sont l’armée et le peuple du parti, et ils représentent dans le donatisme l’Afrique barbare, comme les donatistes représentent l’Afrique civilisée. Les circoncellions sont des bandes nomades qui se mettent sous un chef et parcourent le pays. Ils font, dit-on, profession de continence ; mais le vagabondage amène la débauche dans leurs bandes. Le but de leurs courses est de faire reconnaître la sainteté de leur église ; aussi leur cri de guerre est : louanges à Dieu (laudes Deo), cri redouté, car, partout où il retentit, il annonce le pillage et la mort. Comme les circoncellions sont la plupart des esclaves fugitifs ou des laboureurs qui ont renoncé au travail pour s’enfuir au désert, ils ont les haines qui sont naturelles à cette sorte d’hommes. Ils haïssent les maîtres et les riches, et, quand ils rencontrent un maître monté sur son chariot et entouré de ses esclaves, ils le font descendre, font monter, les esclaves dans le char et forcent le maître à courir à pied ; car ils se vantent d’être venus pour rétablir l’égalité sur la terre, et ils appellent les esclaves à la liberté : tout cela, au nom, disent-ils, des principes du christianisme, qu’ils dénaturent en l’exagérant, et dont surtout ils n’ont pas les mœurs. Otez-leur le fanatisme, ce sont les bagaudes de la Gaule, ce sont les ancêtres de la jacquerie ; c’est la vieille guerre entre l’esclave et le maître, entre le riche et le pauvre ; seulement cette guerre a pris la marque de l’Afrique, ce sont des nomades, — et la marque du temps, — ce sont des bandes fanatiques. C’est le fanatisme en effet qui leur donne un caractère à part. Ils sont cruels contre eux-mêmes et contre les autres ; ils se tuent avec une facilité incroyable, afin, disent-ils, d’être martyrs et de monter au ciel. Ils tuent les autres sans plus de scrupule, en combinant d’affreuses tortures, pleines des raffinemens de la cruauté africaine. Parfois cependant ils s’inquiètent de savoir s’ils ont le droit de se tuer, et alors ils forcent le premier venu à les frapper, afin de ne pas compromettre le mérite du martyre par le péché du