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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/100

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REVUE DES DEUX MONDES.

une nouvelle nuance d’idées. Elle a jusqu’à six degrés de diminutifs[1]. Ce qui ne peut se rendre dans les dialectes scandinaves, germaniques, latins, que par un adverbe ou une préposition, elle l’exprime par la transposition d’une ou de deux lettres. Rien de plus facile que de composer dans cette langue des mots qui, réunis ensemble, forment une image ou renferment une pensée qu’on ne pourrait faire passer dans une autre langue qu’à l’aide d’une longue périphrase. Elle ne compte pas plus de cinquante monosyllabes, et elle a des mots qui ont jusqu’à douze et même dix-huit syllabes. Elle est du reste pleine d’idiotismes et d’onomatopées, à l’aide desquels le poète donne à ses vers l’accent qui s’accorde le mieux avec sa pensée, et imite même les voix de la nature, le bruit du tonnerre, le soupir des vagues, le sifflement de l’oiseau.

Les vers finlandais sont pour la plupart de huit syllabes et allitérés[2]. Jamais, dans notre langue, on ne parviendra à faire comprendre le caractère musical de l’allitération. Ces vers sont, en outre, composés en grande partie par un procédé de parallélisme, c’est-à-dire que le second vers de chaque strophe répète en d’autres termes ou représente avec d’autres nuances la pensée ou l’image tracée dans le premier, et il y a parfois dans ces deux vers, qui sont comme le double écho d’un même sentiment, qui se fortifient l’un par l’autre, et s’en vont sur la même ligne sans se confondre, un charme indéfinissable et impossible à rendre. Qu’on ajoute à ces difficultés une quantité d’expressions figurées, d’hyperboles qui tiennent au génie même du dialecte finlandais, de locutions toutes locales, d’images empruntées à la nature, aux coutumes, aux traditions des habitans, et qu’on juge de ce qui doit rester d’un chant lyrique composé avec de tels élémens, quand il a été traduit dans une autre langue et transporté dans un autre pays ! Mais ce chant résonne encore chaque matin comme celui de l’alouette au bord des lacs de Finlande ; il égaie chaque habitation, il anime chaque fête, et, tout en reconnaissant combien il nous était difficile d’en donner une juste idée, nous avons cru devoir rassembler quelques-unes des pages les plus caractéristiques de cette mythologie bizarre, sauvage, conservée dans les souvenirs de la nation. Il nous a paru curieux de recueillir, au moment où elles viennent d’éclore comme des fleurs embaumées, ces poésies primitives, ces poésies de la nature, dont la source semble à présent tarie, et qu’on ne retrouve plus guère au cœur de notre vieille Europe que comme une science morte, dans les livres et les traditions.


X. Marmier.
  1. Par exemple, pieni, petit ; pienninen, plus petit ; pienikainen, très petit ; pikkuinen, beaucoup plus petit ; pikkuruinen, extrêmement plus petit ; pikkuruikkenen, presque imperceptible.
  2. On a essayé à diverses reprises d’y introduire la rime ; mais elle ne flatte pas l’oreille des Finlandais comme l’allitération.