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LES AFFAIRES DE CHINE ET DE L’AFGHANISTAN.

compagnons exterminés ; Ghizni, cette première citadelle de l’Afghanistan qu’ils avaient emportée d’assaut dans leur campagne de 1839, fut de nouveau prise et rasée. Le fils du shah Soudja vint de lui-même se rendre aux vainqueurs, et se soustraire ainsi à l’emprisonnement dans lequel le tenait son trop puissant vassal. Les Anglais trouvaient sur leur route les cadavres abandonnés de leurs concitoyens, massacrés un an auparavant, et leur donnaient la sépulture. Les corps, préservés par le froid et la neige, étaient encore reconnaissables. Akbar-Khan, le fils du Dost, vint à la rencontre des conquérans leur livrer une dernière bataille ; il soutint dignement la renommée qu’il avait acquise dans ces évènemens sanglans, mais il succomba devant la baïonnette européenne, et le 15 septembre les Anglais entrèrent dans Caboul. Ils n’y trouvèrent qu’une partie des prisonniers : deux femmes, onze enfans et trois officiers. Le reste avait été emmené dans le fond du pays.

Cette histoire ressemble à un roman. Qui n’a pas lu le Dernier des Mohicans ? Qui n’a pas partagé toutes les anxiétés de ces femmes européennes emmenées par les sauvages dans les forêts profondes, et suivies à la piste par leurs libérateurs ? Les mêmes émotions, et de plus l’intérêt poignant qui s’attache toujours à la réalité, accompagnent les captifs anglais emportés par les barbares à travers les déserts de l’Asie. À la nouvelle de la marche des troupes sur Caboul, Akbar-Khan avait fait, de son côté, marcher les prisonniers plus avant dans le pays, et les avait envoyés avec une escorte dans le fort de Baiman, à quatre-vingt-dix milles de Caboul, sur la frontière du Turkestan. Ce fut là qu’ils apprirent la prise et la destruction de Ghizni. Le commandant de l’escorte, Shah-Mohamed, avait ordre de les conduire dans le Turkestan, où un esclavage sans doute éternel les attendait ; mais, voyant la fortune tourner contre les Afghans, il entra en négociations avec les officiers prisonniers. Ceux-ci s’engagèrent à obtenir pour lui une somme de 20,000 roupies et une pension de 1,000 roupies par mois. Les prisonniers, au nombre desquels étaient le major Pottinger et la femme du géneral Sale, formèrent une sorte de conseil dans lequel ils signèrent tous une garantie de l’exécution de ces conditions. Alors le commandant se déclara en révolte ouverte, et arbora son propre drapeau sur le fort. Les officiers anglais le mirent en état de défense, et se préparèrent à faire une résistance désespérée à Akbar-Khan, s’il venait réclamer ses captifs ; mais ils apprirent bientôt la défaite du chef barbare, et, encouragés par ces heureuses nouvelles, ils se décidèrent à se frayer un passage jusqu’à Caboul. Ils partirent pour cette expédition aventureuse à travers un pays ennemi, eurent à passer une montagne de treize mille pieds de haut, et poussèrent des cris de joie en rencontrant sur leur route un parti de mille chevaux envoyé à leur recherche. Deux jours après, le vieux général Sale arriva encore à leur rencontre avec deux mille hommes et des canons, et put presser dans ses bras son héroique femme, dont l’indomptable énergie avait presque seule soutenu le courage et la patience des captifs. Le 21 septembre, des salves d’artillerie, parties du camp anglais, accueillirent les malheureux prisonniers ; treize femmes, douze enfans, trente-un officiers, et cinquante-