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le poète comique prendra-t-il des personnages qui ne trempent point ou ne veulent point tremper dans les affaires du pays ? Ira-t-on maintenant s’amuser à persiffler M. Jourdain sur sa prétention à être né d’un père qui réunissait des étoffes par complaisance pour les distribuer à ses amis ? M. Jourdain s’est mis bien d’autres ambitions en tête. Il veut faire mieux qu’une épée de son aune ; il veut en faire un sceptre. Certes je n’entends point imiter ce critique allemand qui plaçait l’auteur de l’Ambitieux à côté de notre immortel Molière, mais, abstraction faite de toute question d’art dans l’ordre seul des idées, la comédie de Bertrand, et Raton n’est-elle pas la suite du Bourgeois Gentilhomme ?

Sans examiner de quel succès ont été suivis les efforts de M. Scribe, on peut donc le louer tout d’abord d’avoir senti que les travers politiques étaient les vrais travers de notre temps. L’éternelle objection que l’on fait à ceux qui, pénétrés comme lui de cette conviction, croient ces travers destinés à être corrigés par le théâtre, c’est que la presse s’est déjà chargée de la mission satirique. On s’est demandé quel sel pouvait avoir le soir dans la bouche d’un acteur une plaisanterie faite à travers mille réticences sur des gens qui le matin étaient bafoués sous leurs vrais noms dans les colonnes des journaux. Que tout homme né dans les rangs élevés de la société s’interroge et dise ce qui lui paraît le plus sanglant, de l’épigramme savamment cachée dans une phrase d’une politesse perfide, ou de ces insultes grossières qu’on payait autrefois en coups de bâton et dont le mépris fait justice aujourd’hui. Mazarin eut de quoi composer une bibliothèque de tous les pamphlets où il fut injurié. Quelles attaques ont survécu au favori d’Anne d’Autriche ? Celles que dirigea contre lui dans ses mémoires l’élégant et spirituel Paul de Gondi. Ainsi nous ne voyons nul argument sérieux contre la comédie politique. Abordons maintenant l’œuvre de M. Scribe. M. Scribe a placé l’action de sa pièce en Angleterre, à la mort d’Olivier Cromwell. On s’est élevé quelque part contre le choix même de l’époque. Après un long tableau des meurtres qui ont ensanglanté le retour des Stuarts, on s’est demandé comment un poète comique pouvait songer à tirer parti d’un semblable temps. La muse de la comédie peut imiter ces fossoyeurs de Shakspeare qui jouent avec des crânes ; rien ne s’oppose à ce qu’elle cherche sous les spectacles les plus formidables des choses humaines ce qui appartient à la raillerie. Si la haute comédie n’est pas autre chose qu’une satire dramatique, pourquoi lui interdirait-on ce qu’on permet à la satire ? A-t-on jamais trouvé mauvais que Juvénal nous fît sourire aux dépens d’un siècle de crimes, et que Gilbert crayonnât l’échafaud de Lally dans le fond du tableau où il peint les coquettes de son temps ? Certainement, dans toutes les intrigues qui se croisent, dans tous les sentimens égoïstes qui se montrent, dans toutes les illusions qui se dissipent au moment où un gouvernement en remplace un autre, il y a un sujet de drame politique heureux et fécond. La pièce de M. Scribe a donné lieu à une grande exhibition de connaissances historiques. On nous a tracé des portraits de Cromwell, de Richard Cromwell et de Charles II ; il est cer-