Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/1044

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1040
REVUE DES DEUX MONDES.

comme il rétablissait tout ce qui, dans l’ordre antique, était compatible avec les justes conquêtes des nouvelles idées.

Dans un discours récent, M. le comte Molé prononçait un éloge qui certainement n’eût été mieux placé dans aucune autre bouche que la sienne, l’éloge de la politesse française. Les sentimens de toute nature, quand ils se montrent à propos et sont exprimés dans le langage qui leur est propre, ont le don de communiquer l’émotion. Et puis, c’est une tradition si nationale que celle de notre politesse, qu’un véritable tressaillement courait dans l’auditoire aux paroles de M. Molé. Si l’Académie veut, comme elle le doit, garder le dépôt de cette politesse, qui est une de nos gloires les plus anciennes et les plus chères, ne faut-il point qu’elle reçoive dans son sein ceux qui en sont les représentans naturels par le rang qu’ils occupent et ont de tout temps occupé ? M. Mignet l’a dit avec autant de finesse que d’élégance, il est bon que l’esprit avisé des hommes d’état tempère les aventureuses hardiesses des poètes ; n’est-il pas également utile que les mœurs des gens du monde polissent ce qu’il y a parfois d’un peu acerbe dans les mœurs littéraires ? Le seul regret que nous puissions exprimer, c’est qu’il y ait eu sur les rangs en même temps que M. Pasquier un écrivain dont le talent et le caractère ont droit à toutes les sympathies ; mais ce regret ne doit point nous rendre injustes pour un choix dirigé par des motifs différens de ceux qui appellent au fauteuil académique l’auteur de Cinq-Mars et de Stello.

Il y a deux races d’hommes dont s’est également servi l’empereur pour accomplir l’œuvre de reconstruction sociale qui s’est continuée après lui. L’une est la race des soldats ; c’est celle qui a pris la plus grande partie de la gloire et la popularité tout entière. On est indulgent pour les faiblesses qu’ont éprouvées devant certaines séductions de la vie ceux que la mort a toujours trouvés si braves sur les champs de batailles. L’autre est la race des politiques, c’est celle qui a supporté la plus pénible portion des travaux, et envers laquelle l’opinion s’est montrée le plus sévère. Le peuple, qui ignore les fatigues de l’esprit, ne sait pas en tenir compte à ceux qui les supportent ; il ne pardonne rien à ceux qui ont reçu des blessures d’où il ne voit point couler de sang. Faut-il se plaindre que les gens d’élite réparent cette injustice de la foule ?

Il est à regretter que M. Pasquier n’ait pas abordé dans son discours l’ordre d’idées auquel sa présence à l’Académie préparait tous ses auditeurs. On s’attendait à des considérations politiques ou à des révélations curieuses sur des époques et des hommes que le conseiller au parlement de Louis XVI, le préfet de police de l’empire, le ministre de la restauration, était certes à même d’apprécier. Il est dans les traditions de l’Académie un usage dont quelques esprits ingénieux ont déjà secoué la tyrannie aussi gênante que l’était autrefois celle du panégyrique forcé de Richelieu. C’est l’usage qui condamne le récipiendaire à tracer une biographie minutieuse de celui dont il vient remplir la place. M. Pasquier a pris trop au sérieux cette ancienne